17/06/2024

Les derniers jours de Rabindranath Tagore

 

Rabindranath Tagore, le Bengali universel.


Rabindranath Tagore est le premier écrivain asiatique à avoir été couronné par le prix Nobel, en 1913. Dans l’Inde, on l’appelait simplement « Le Poète »: le poète par excellence du Bengale et de toute l’Inde moderne. Poète-voyant, poète de la Beauté, il eut à 21 ans une expérience mystique qui va orienter toute sa vie. Il consacrait de longues heures à la méditation.


En France, on ne le connait essentiellement que par deux recueils de vers, « Le Jardinier d’amour » et « L’Offrande lyrique » (le Gitanjali), traduit par André Gide, mais il est en réalité l’auteur d’une oeuvre considérable. Poète et penseur, romancier et dramaturge, musicien et peintre, il est aussi le porteur d’un message spirituel, comme c’est souvent le cas dans l’Inde. Imprégnée des versets des Vedas et des Upanishads, son oeuvre exalte la vie, un monde de beauté et de lumière, la recherche de la joie d’être au monde.








Pratima Devi était la secrétaire littéraire du Poète, sa confidente et l’épouse de son fils Rathindranath. Son récit commence en août 1940 à Kalimpong, dans une ville de montagne située au nord du Bengale dans les contreforts de l’Himalaya. Tagore a 79 ans. Il est dans un état de santé très précaire, malade, fatigué et très affaibli. « Il me semble, reconnaît-il, qu’un grand danger me guette. » Pourtant, quand il arrive à Kalimpong, après un voyage harassant, il paraissait aller mieux, dans le vent frais venu du Tibet. « Jours après jours, il semblait faire qu’un avec la lumière et les couleurs, raconte Pratima. Soudain, comme s’il oubliait sa fatigue persistante des derniers jours, son esprit semblait savourer cette source béatifique de lumière. » Tagore était alors entré « dans un état de conscience universelle », mais, comme le précise Pratima,  « personne ne pouvait deviner que ces cinq jours allaient être pour lui les derniers jours de santé et de beauté dont il jouirait et que, par-delà, la sombre volonté de l’obscure nuit nous guettait! »


Son état a alors commencé à empirer et il fallut retourner à Calcutta. « La complicité d’environ huit médecins entourait le Poète. Un groupe de volontaires se forma pour lui apporter des soins. » Lorsqu’un messager lui transmit un message d’affection du Mahatma Gandhi, des larmes ruisselèrent sur ses joues. « C’était la première fois que je voyais Baba pleurer. Il avait une telle maîtrise de ses nerfs que les évènements extérieurs les plus douloureux ne pouvaient l’émouvoir. Aujourd’hui tout empire sur lui-même semblait avoir disparu. »


Dorénavant, lorsque l’on venait chanter auprès de lui, il ne percevait plus « la plupart de ces mélodies qu’il avait lui-même composées ». Néanmoins, s’il avait du mal à écrire, il n’a jamais cessé de créer. « De temps en temps, la douleur excessive y mettait obstacle; mais, nul obstacle ne pouvait durer longtemps devant son indomptable appel créateur ». 


La maladie n’a cessé de s’accentuer à tel point qu’il devint incapable de tenir un stylo. « L’heure est venue, je dois m’éteindre, confiait-il à ses proches. A quoi bon souffrir davantage. Mon oeuvre est accomplie. Je peux partir tranquille.  Je vous confie ce laboratoire. »


Ce laboratoire qui lui tenait tant à coeur, c’est Santiniketan, l’école sous les arbres qu’il avait conçue à 15 km de Calcutta. Une école qui était devenue une université internationale, Vishva Bharati, où il souhaitait « former des êtres harmonieux », et qui attirait désormais des étudiants du monde entier.

L’esprit en paix, le Poète pouvait entreprendre son ultime voyage et, pour reprendre ses propres paroles, s’unir à « l’océan de la conscience parfaite ».  Pour Tagore et pour un hindou, la mort ne peut être qu’un passage vers un recommencement.  «Ne pleurez pas quand je ne serai plus, mais pensez que je revis ailleurs. »


Bruno SOURDIN.


Pratima Devi: « Nirvana. les derniers jours de Rabindranath Tagore », témoignage traduit du bengali et présenté par Prithwindra Mukherjee, éditions Banyan.





Dirigées par David Aimé, les éditions Banyan sont dédiées exclusivement à l’Inde. Elles publient des textes d’auteurs indiens encore méconnus, des romans à la poésie en passant par les essais. Le catalogue de Banyan est disponible sur www.editions-banyan.com/


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