28/06/2015

Sept haïkus

                                                                                  Photo Keiichi Nakamura


La douleur, ah !
Réveil en sursaut
Sur un lit d’hôpital


The pain, ah !
Starting awake
On a hospital bed


*


Couché les yeux grands ouverts
Le dos un peu douloureux
Voyons ce que disent les journaux


Lying eyes wide open
Back slightly sore
What do the newspapers say ?


*

A ma fenêtre tout à coup
Un papillon –
Le vent l’a déjà chassé


Suddenly at my window
A butterfly –
Already blown away by the wind



*

Tout le monde s’agite
Une porte claque –
Quel bonheur sur le quai


Everyone gets busy
A door slams –
What happiness on the platform




*

Personne, tout dort
La pluie fouette les volets
Soir qui tombe


Nobody, everyone’s asleep
Rain slashes at the shutters
Nightfall


 *

Les écrans débranchés
Il reste une bouteille de vin
Solitude du soir

Switched off screens
There’s a wine bottle left
Evening loneliness


*

Allongé dans mon lit
Fermant les yeux –
Je vois la mer moi aussi


Lying in bed
Closing my eyes –
I too can see the sea


Bruno Sourdin
(traduction: Bertrand Agostini et Daniel Py)

Anthologie du haïku en France (sous la direction de Jean Antonini), Aléas éditeur, 2003.




                                                                                          Photo Keiichi Nakamura


Pourquoi j'aime le haiku?
J'appartiens à une génération qui a pris la route, au début des années 70, sur les traces de Jack Kerouac. J'ai découvert le haïku dans ses livres. J'ai été tout de suite fasciné par cette poésie simple et vraie, brève et mystérieuse, sans artifices ni sophistication. J'ai écrit mes premiers haikus en cherchant à exprimer une spontanéité totale.
Plus tard, j'ai compris qu'il s'agissait d'une école beaucoup plus rigoureuse, avec une métrique très spéciale et des contraintes spécifiques. Mais le rythme 5-7-5 ne correspond à rien en poésie française. Alors, retour au vers libre et à cette éclairante recommandation du "clochard céleste": "Soumis à tout, ouvert, à l'écoute."



19/06/2015

Sinclair Beiles, le poète excentrique du Beat Hotel


Né en 1930, le poète sud-africain Sinclair Beiles a vécu à Paris dans les années 50. Il travailla pour Olympia Press, la maison d’édition de Maurice Girodias, qui publiait en anglais des livres sulfureux et subversifs, à la fois des récits érotiques (dirty books) et des oeuvres interdites aux Etats-Unis (parmi lesquelles Sexus d’Henry Miller, Lolita de Nabokov et Naked Lunch de William Burroughs). Sinclair lui-même a édité un roman érotique, Houses of Joy, sous le pseudonyme de Wu Wu Ming.
Beiles a vécu avec les écrivains Beats au fameux Beat Hotel de la rue Gît-le-Cœur, où il retrouva William Burroughs qu’il avait rencontré à Tanger alors qu’il était correspondant pour le Sunday Express. Il s’initia au cut-up, la technique littéraire de découpage et de permutation de textes déjà existants, technique radicale et novatrice inventée par Brion Gysin.  L’époque était effervescente. Sinclair a affirmé qu’alors il fumait 30 à 40 joints par jour mais que, contrairement à Burroughs, il ne tenta l’héroïne qu’une seule fois et que cette expérience nauséeuse fut sans suite.
Belies se mit à expérimenter la technique du découpage avec enthousiasme. En 1960, il entra dans l’histoire littéraire en collaborant avec Burroughs, Gysin et Gregory Corso à l’édition du premier livre de cut-ups, Minutes to Go, édité par un médecin mauricien, Jean Fanchette, qui publiait une revue intitulée Two Cities. Burroughs a raconté que le titre venait d'une expression que Beiles avait employée ("il ne reste que quelques minutes"). Quoi qu'il en soit, le cut-up rendit Beiles dément: il finit par jeter son lit par la fenêtre du Beat Hotel et on dût l'hospitaliser.

"Minutes to Go", Two Cities, Paris, 1960.


La même année, l’artiste grec Takis, qui était fasciné par les forces invisibles des champs magnétiques, a mis Beiles en suspension à la galerie Iris Clert, grâce à un aimant fixé au plafond, pendant quelques instant, le temps de lire un poème. Six mois avant Gagarine, Beiles était ainsi devenu le premier homme envoyé dans l’espace ! Sinclair a prétendu plus tard que cette expérience était à l’origine de sa paranoïa.

Sinclair Beiles à Paris, quai des Grands-Augustins, en 1959 (photo Harold Chapman).

Sinclair Beiles a toujours eu une vie errante compliquée. Où qu’il vécut, au Maroc, en Espagne, en Nouvelle-Zélande ou à Londres, il a toujours eu l’impression que la vraie vie était ailleurs. Il a séjourné pendant plusieurs années à Athènes, dans le vieux quartier de Plaka, en contrebas de l’Acropole, et sur l’île d’Hydra. Abandonnant le cut-up, c’est en Grèce qu’il a écrit son premier livre de poèmes, Ashes of Expérience, édité en 1969.

Sinclair Beiles était un homme malade,  qui avait subi des électrochocs dans son adolescence. Il a effectué de nombreux séjours dans des établissements psychiatriques. Il souffrait de troubles bipolaires et de crises d'angoisse et de paranoïa, à la limite de la schizophrénie.
Il était rentré en Afrique du Sud à la fin des années 70. « Crazy Sinclair » est mort à Johannesburg en 2000, presque totalement oublié.





Cet exil

Heureux 
De cet exil.
Dans les rues obscures
Des canaris chantent
Et dans l’embrasure de leur porte
Des femmes sourient à cet étranger
Qui transporte son cœur
Dans ses mains.
Il tourne autour de la place du marché
Comme un ancêtre
Revenu d’entre les morts
Pour voir son peuple
Et négocier de vieilles pièces de monnaie
Frappées à son image.



Ari

Ari vit avec sa mère
Passe ses dimanches avec son amant
Sous les pins sur la colline du Lycabette
Alors que les cloches appellent à la messe dans la vallée.
Ari porte une bague de fiançailles mais elle n’est pas fiancée
Et rêve de rencontrer un Américain
Qui l’emmènera à New York
C’est pourquoi elle rôde dans les cafés pour touristes à l’heure du déjeuner

Elle se demande si elle peut encore avoir des enfants
Après cet avortement au Pirée.



Au coin des rues

Il s’en passe des choses au coin des rues.
Des amants se séparent sur un baiser
Des représentants se lissent les cheveux
Et rectifient leur cravate
Des fabricants de tissus fusillent du regard
Des profs d’école aux cheveux sur la nuque
Des musiciens aveugles jouent de l’accordéon
De jeunes enfants distribuent des prospectus
Des vendeuses rajustent leur jupe
Et de vieux chiens se relâchent et pissent un coup.
Oh la vache !



Chanson

Ma robe est tombée.
Elle est tombée à mes pieds
Comme une mare dans les rochers.
Viens tout près de moi.
Lèche ma peau

Et tu sentiras la mer.

(Ashes of Experience, Wurm Publishers, Pretoria, 1969)

Poèmes traduits par Bruno Sourdin.







Who was Sinclair Beiles? , édité par Gary Cummiskey (Dye Hard Press, PO Box 1171, Bromhof, South Africa, 2154), rassemble des interviews, des témoignages et des articles très documentés. Un travail remarquable.