David Lynch à Idem Paris, l'imprimerie d'art qu'il aimait tant.
"Idem Paris", un court-métrage réalisé par David Lynch.
Au commencement était le dessin. La peinture et le dessin. Des visions étranges, fascinantes, énigmatiques. Déjà. Le cinéma n’est venu que plus tard.
Le parcours de David Lynch est extrêmement singulier. En 1963 - il a 17 ans -, il s’inscrit à l’école des beaux-arts de Boston, puis à celle de Philadelphie, en Pennsylvanie. Les images qui ne cesseront de le poursuivre sont déjà marquantes: le feu, les insectes, les ténèbres, les corps difformes, suppliciés… Un univers de noirceur, de rêves obscurs, de pourrissement, de douleurs folles. « The fire behind our world ».
Lynch adore peindre. La peinture lui offre une liberté totale. A Philadelphie, le chaos permanent qui l’entoure l’enchante. Il garde les yeux grands ouverts et se laisse porter par son instinct. « Cette ville est l’une des plus malsaines que je connaisse, dira-t-il. Corruption, angoisses, colère, violence, folie, crasse… un endroit génial ! » Un fantasme, pense-t-il, peut devenir « aussi grand que l’univers ». Lynch reste donc ouvert aux sensations, aux vibrations qui l’entourent mais il se tient à l’écart. « Il faut laisser toutes vos portes bien ouvertes, parce qu’on ne sait jamais ce qui va s’engouffrer dans l’une de ces portes, vous toucher de plein fouet, vous faire tomber amoureux. »
C’est à Philadelphie que l’idée d’animer sa peinture lui vient et qu’il décide d’en tirer un court-métrage, « Six Men Getting Sick » en 1967 puis un second, « The Alphabet », l’année suivante. David Lynch est un perfectionniste et il adore expérimenter. Il quitte Philadelphie pour Los Angeles et son American Film Institute. Le peintre est devenu cinéaste et quel cinéaste !
Avec obstination et une liberté absolue, il mettra quatre ans pour tourner son film avec une équipe très réduite. Ce sera « Eraserhead », un long-métrage délirant, qui deviendra, dès sa sortie en 1977, un film culte. A partir de là, les films vont s’enchaîner, on connait la suite: « Elephant Man », « Blue Velvet », « Twin Peaks », « Mulholland Drive »… La vie, pensait-il avec raison, est un chaos permanent. Beaucoup de choses sommeillent en nous. « Beaucoup de mystères sont à l’intérieur de nous-même. » Il faut s’y affronter, explorer ces paysages obscurs et raconter. Le bonheur, c’est de raconter.
Et ce qui doit arriver finit toujours par arriver. Pour exprimer ses pulsions créatrices, David Lynch n’a jamais abandonné ni la peinture ni le dessin, la passion de ses débuts.
Cinq mois après la mort du cinéaste, le 16 janvier à l’âge de 78 ans, la galerie Duchamp (1) a exposé une cinquantaine de lithographies réalisées à Paris à l’atelier Idem, la célèbre imprimerie d’art du quartier Montparnasse. Lynch venait y travailler lorsqu’il séjournait dans la capitale. Dans cet endroit magique, expliquait-il, il y a « quelque chose dans l’air qui est propice à la création et qui vous stimule ». Il en a sorti un rêve insensé, des oeuvres mystérieuses, cauchemardesques et inquiétantes, libres et inclassables. Des oeuvres qui ne cesseront de nous hanter. Lynchiennes en diable.
Bruno SOURDIN.
La galerie Duchamp est installée dans une petite ville de Normandie, Yvetot, capitale du pays de Caux, « au milieu des vaches ». Les lithographies et gravures sur bois présentées dans cette exposition (21 juin-21 septembre 2025) ont été réalisées par David Lynch entre 2007 et 2020. Les 49 lithographies ont été présentées comme un story-board.
Ses deux premiers courts-métrages y ont également été inclus, ainsi qu’un petit film de 8 minutes « Idem Paris » sur son imprimerie de prédilection. Cette exposition normande lui tenait particulièrement à coeur.