19/11/2022

Edmond raconte sa première descente à 15 ans au fond de la mine

C'est à Arenberg que j'ai rencontré Edmond Pruzack.



 



« Au Nord, c’étaient les corons

La terre c’était le charbon

Le ciel c’était l’horizon

Les hommes des mineurs de fond. »

(Pierre Bachelet, Les Corons)


Le site minier de Wallers-Arenberg impressionne, avec ses trois chevalements, ces grandes tours construites au-dessus des trois puits de mine. On arrive au carreau de la fosse par la route « ed coron » et le secteur pavé mythique du Paris-Roubaix, « la trouée d’Arenberg »,  qui traverse la forêt de Wallers et que l’on appelle ici de façon plus poétique « la drève des Boules d’Hérin ». A son extrémité, avant d’entrer dans la commune, un mémorial a été érigé, qui représente un mineur à l’abattage au piqueur, éclairé par sa lampe de benzine.

 

Des anciens mineurs passionnés ont décidé de faire visiter le carreau de la fosse et d’y raconter leur vie de labeur. Le charbon d’Arenberg était d’excellente qualité et la fosse a été l’une des plus productives. Les molettes ont remonté leurs dernières gaillettes de charbon en mars 1989. Le site est aujourd’hui classé monument historique. Claude Berri y a tourné son film Germinal.


 

 

Les dernières gaillettes de charbon ont été remontées en mars 1989.


C’est à Arenberg que j’ai rencontré Edmond Pruzack. Dans sa famille, d’origine polonaise, tout le monde travaillait à la mine, le grand-père, le père, l’oncle, les frères, heureux et fiers d’exercer ce métier difficile, périlleux même, et exigeant. Edmond a commencé à travailler en 1963. Il avait 15 ans. « C’est un métier que je n’ai pas choisi », me lance-t-il d’emblée. Il aurait voulu poursuivre des études mais cela n’a pas été possible.

 

Soixante ans plus tard, les images de sa première descente au fond de la mine restent gravées dans sa mémoire. « Je dois dire que j’ai pratiquement passé une nuit blanche. »

Sa musette sur le dos, il enfourche son vélo et en route ! Arrivé sur le site, il se dirige vers le vestiaire des galibots, des apprentis. « A 18 ans, le galibot sera considéré comme un adulte et il changera de vestiaire. » De façon imagée, on a appelé ce vestiaire « la salle des pendus » parce que les mineurs y suspendaient leurs vêtements avant d’enfiler leur tenue de travail.

 

La salle des pendus.


A la lampisterie, Edmond fait la connaissance de Fernand, le moniteur qui va encadrer l’équipe. Il avait été choisi pour ses qualités professionnelles et humaines. Après quelques bons conseils, Fernand leur fait contrôler les deux ampoules qui vont leur servir au fond de la mine, le phare et la veilleuse. Puis le groupe se dirige vers la salle de pointage où les attend le porion, le contremaître, « un homme d’apparence autoritaire » qui pointe son personnel par son numéro de lampe. « Mon numéro de lampe est 11.82. Avoir un numéro comme nom, ça fait bizarre ! »

 

Tout est prêt maintenant pour la descente. « Nous voici face à la cage. C’est impressionnant de la voir se stabiliser bruyamment et les mineurs en sortir noirs comme des gaillettes. »

Edmond est le dix-huitième et dernier à entrer dans la cage et il n’est pas très rassuré. « Je fais discrètement mon signe de croix et me voilà enfermé dans cet espace réduit. On est serrés comme des sardines dans leur boîte. Comme je suis le dernier entré, j’ai la chaîne de sécurité au niveau de la taille. Cela me paraît un peu léger comme protection. » Un ancien, qui sait que c’est sa première descente, n’en rate pas une pour le taquiner. « Hé, ch’tiot, si la chaîne casse, surtout ne t’agrippe pas à moi, tu risques de m’entraîner avec toi. Il ne croyait pas si bien dire : un an plus tard, il y a eu une rupture de barrière de sécurité et cinq mineurs ont été tués. »

 

Et voici que la cage descend et accélère progressivement. Les guides en bois se mettent à défiler devant leurs yeux. « Ça berloque, comme on dit chez nous. J’ai l’estomac un peu noué. »

La cage s’arrête 350 mètres plus bas, devant une grande galerie éclairée qu’on appelle la bowette. « Le courant d’air est fort. Il ne fait pas si chaud que ça », se souvient Edmond.

 

Fernand rassemble son équipe et direction le chantier. Plusieurs bowettes apparaissent. Il faut prendre celle de gauche vers la fosse 23. « Je dis tout haut que l’on peut se perdre facilement. Fernand répond : actuellement nous nous éloignons de l’accrochage et le courant d’air est dans notre dos. Pour le retour, il faut l’avoir face à soi et le suivre, tout simplement. »

 

A partir de là, il n’y a plus d’éclairage. Les mineurs marchent sur les traverses où circulent les berlines tractées par des trolleys. Les hommes qui transportent le matériel doivent redoubler d’attention car il ne faut pas toucher la caténaire. Il faudra un accident mortel d’électrocution pour que cette pratique soit interdite et faire évoluer les conditions de travail.

 

« Enfin nous arrivons à une intersection. Nous empruntons une galerie plus petite. Je suis surpris par la différence de température avec celle de la bowette : il faut chaud. » Le groupe continue à avancer. Les galeries se croisent et diminuent encore de taille. « Vraiment il y a de quoi se perdre. »

 

On est finalement arrivé sur le lieu de travail. Il fait encore plus chaud. Fernand encourage chacun à manger sa tartine puis à bien fermer sa musette car les souris arrivent à grimper le long de la paroi et à se laisser tomber dans les sacs pour manger la nourriture qui s’y trouve. « Mais ce n’est pas une raison pour leur faire du mal, précise Edmond. Elles sont très utiles. Si vous les voyez fuir, vous avez intérêt à les suivre : elles vous préviennent d’un danger. »

 

Pour cette première descente, le travail d’Edmond va consister à évacuer à la main du matériel, à le transporter du chantier d’exploitation à la galerie et de l’y stocker. Mais auparavant, il a fallu réparer une fuite sur la tuyauterie d’air comprimé.


 

Edmond n'a rien oublié de son travail au fond de la mine. Numéro de lampe 11.82.

Ce sont les premiers pas d’un galibot de 15 ans. Edmond n’a bien sûr rien oublié de cette journée. Il entend encore son père l’interpeller le matin au réveil : « Alors, fiston, c’est le grand jour ? » Le grand jour ? Une façon de parler. 

Il se revoit encore sur son vélo ce matin-là en route pour la fosse. Il n’oubliera jamais que la première chose qu’il a vue avant d’arriver est une civière portée par deux hommes. « Ils transportaient un corps recouvert d’une couverture grise. Les bottes dépassaient et son casque était posé sur sa poitrine. » Il a su plus tard que le mineur tué était un homme qui effectuait des travaux d’entretien. Le malheureux était tombé dans un puits et était mort sur le coup.

« C’est une vision que je n’ai jamais oubliée. »

 

Recueilli par Bruno SOURDIN.