29/12/2017

Puisqu'il me faut quitter cette terre



Guy Allix vient de publier, sur sa chaîne YouTube, une nouvelle playlist intitulée "Poètes d'aujourd'hui". On y retrouve Puisqu'il me faut quitter cette terre, un poème que j'ai publié en 2013, en ouverture de mon livre L'air de la route (éditions Gros Textes). Bonne visite.


https://www.youtube.com/watch?v=iAs8j9pMKdA



Puisqu’il me faut quitter cette terre où je ne reconnais plus rien, ni les rivières ni les arbres ni l’eau ni le vent
Je ne voudrais pas partir sans dire adieu à l’étoile qui me suivait
Adieu à l’air du printemps, au cri des corbeaux oiseaux vagabonds
Adieu à l’esprit du tonnerre et de la fumée, à l’esprit qui souvent proteste
Adieu aux nuages et à l’herbe fraîche
Adieu à la machine à pluie, à l’arc-en-ciel laissé à l’abandon
Adieu à la plus belle nuit de ma vie, à cet étrange sentiment d’éternité
Adieu à la foudre dans le vide obscur
Adieu à mes enfants aux yeux de soleil, société secrète des corps immobiles
Adieu aux galops des chevaux, cliquetis incessants de la pendule
Adieu à ma maison pleine de livres
Adieu aux foules sans noms, têtes de mourants terrifiés
Adieu aux mamans brûlées vives entre les mains de la bombe
Adieu aux visages cloqués et écorchés, muses irradiées accablées de chagrin dans la nuit qui tonne
Adieu aux esprits anéantis avalés par le champignon géant, aux esprits rampant dans leurs excréments
Silhouettes écorchées, restes calcinés des villes, peaux arrachées, décombres en flammes
Adieu au crépuscule de fer
Adieu poème mort
Je ne voudrais pas quitter cette terre sans dire adieu à ma douce mère, frères humains méconnaissables
Adieu hirondelles âmes brillantes et salut aux nouveaux fantômes déjà en marche dans l’inconnu






Voir Bayeux et mourir





Marion Chemin (photo Ouest-France)

Jusqu’ici Marion Chemin s’était illustrée dans le genre de la nouvelle, nouvelle noire, nouvelle punk ou grunge. Elle affectionne les histoires sombres qu’elle raconte avec une voix très personnelle et un style pénétrant. Avec un vrai talent d’écriture.

Elle est née en Bretagne, à Saint-Brieuc, mais vit en Normandie, et la Normandie qu’elle restitue est particulièrement glauque, à l’image de celle de Jean-Noël Levavasseur, son compagnon. Avec lui, elle a créé le personnage de Martin Mesnil, un intérimaire itinérant que les injustices révoltent et qui va, cette fois-ci, se trouver confronté à un réseau de traite de femmes.
L’action se déroule à Bayeux, la belle endormie du Bessin. Martin est recruté comme gardien d’un hôtel particulier que possède un cinéaste de renom, « un mec bien ». On lui demande d’accueillir les invités de l’illustre propriétaire. Mais dans cette maison sinistre, il va mettre au jour un énorme réseau de prostitution pour des clients fortunés. Un univers carcéral sidérant. Une chambre de torture et des pratiques extrêmes. « Sur les murs, un tas d’outils, de fouets, de cravaches et autres pinces étaient méticuleusement rangées par thème : ce qui coupe, ce qui écrase, ce qui brise  et ce qui brûle. » A vomir.
Tout ce qui meurt me touche, le polar de Marion Chemin, frappe très fort. C’est un premier roman très réussi. Avec des scènes qui heurtent et vous glacent le sang. Avec aussi de super dialogues. Une vraie découverte.


Marion Chemin : Tout ce qui meurt me touche, Orep éditions.

(publié dans Quetton l'Arttotal, la revue underground fondée par JF Rocking Yaset en juin 1967. Numéros 34 et 35, décembre 2017)

28/12/2017

Haïkus. Christophe Jubien, proche et fraternel

Christophe Jubien, en compagnie de Jacques Renou, le maître typographe de l'Atelier de Groutel.


Un robinet mal fermé, un tas de pierres au jardin, un chien qui pleurniche, l’odeur d’un feu d’herbes… Ce sont des détails infimes, des instants de vie fugaces, des miracles minuscules que son œil acéré a notés, ces petites choses ordinaires qui nous émeuvent et qui passent, le temps d’un souffle. Lui, a tout observé, tout retenu. Rien ne lui a échappé. Il est sensible à l’inattendu.  Il goûte, il palpite, il s’émerveille. Il est heureux avec un simple rien.
Christophe Jubien est journaliste et poète : un journaliste du quotidien, qui a fait le choix de la sincérité et de la clarté et qui va droit au but ; un poète proche et fraternel, dont on envie la tendresse et la force d’enchantement. Un poète fou de haïkus, ces poèmes courts japonais qui, lorsqu’ils sont pleinement affûtés, excellent à dire un univers. Et dans ses croquis pris sur le vif, le souvenir du maître du genre n’est jamais loin :

Seul à la maison
je pense au vieux Basho
seul sur la route

Présence, grâce, légèreté. La poésie de Christophe Jubien vient du cœur. Elle est d’une exactitude remarquable et nous invite, dans ce monde flottant, à vivre un peu plus intensément. La vie, c’est maintenant.
B.S. 



Un recueil de haïkus imprimé par Jacques Renou à l'Atelier de Groutel.


❇ Atelier typographique de Groutel, hameau de Groutel, 72610 Champfleur. 
Tél. 02 33 28 22 08.
atelierdegroutel@gmail.com

22/12/2017

Cinq nouveaux poèmes de Gary Cummiskey





Gary Cummiskey est un poète d'origine britannique, qui vit à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il a publié plusieurs recueils, parmi lesquels: Don't Stop Until Incinerated (Tearoom Books, Durban, Afrique du Sud, 2016), I Remain Indoors (Tearoom Books, 2013), Sky Dreaming (Graffiti Kolkata, Inde, 2011). Editeur, il a publié, avec Eva Kowalska,  Who was Sinclair Beiles? (Dye Hard Press, Johannesburg, 2009), un livre de témoignages sur le poète Beat d'Afrique du Sud, qui a vécu à Paris dans les années 60 et a participé  avec Burroughs et Corso à la première publication de cut-ups, Minutes to Go. 
https://en.wikipedia.org/wiki/Gary_Cummiskey




Un salut du ciel à Shams de Tabriz
On vole
à 12 000 pieds
mais les montagnes
sont si hautes
que l’on pourrait presque tendre la main
par
la fenêtre et toucher
les sommets enneigés.
Ce vol interminable
m’a éreinté
et l’hôtel de Venise
est encore bien loin. Au-dessus de Tabriz
on vire sur notre gauche
vers la Turquie.
Embrassez Shams pour moi.


Barcelone
Il se réveille dans le noir
et voit à travers le hublot
des lumières brillantes et menaçantes
qui lui font penser à un camp de concentration du Goulag,
aux machines de torture de Kafka : il s’affole,
il commence à transpirer, puis
éclate de rire lorsqu’il se rend compte
que ce sont les lumières du port de Barcelone.


Héros déchus
J’ai retrouvé un CD
de Maria Callas.
Je ne l’avais pas écouté depuis des années,
et l’autre nuit
je l’ai mis dans le lecteur.
Ça a bien marché pendant les deux ou trois
premiers morceaux.
Je buvais mon thé à petites gorgées
Tout en lisant un livre de Pasolini,
quand tout à coup
ça s’est arrêté.
J’ai retiré le CD du lecteur
et je l’ai examiné avec attention,
j’étais stupéfait,
il y avait
sur la face du CD
une balafre
profonde et sauvage
comme sur le corps
lacéré
du poète.


Silence
La vieille dame est assise
au bout du lit,
les yeux fermés,
avec des bouts de papier entre les mains.
Un silence glacial est entré dans la chambre
et en repart aussitôt.


Allo Elvis
Elvis mourut
en faisant l’amour
avec le suaire
de Turin
et en rêvant d’une fille
à deux têtes
mais sans âme.
Elle déclara
qu’elle avait

un appartement à louer.

(Traduction: Fidélise et Bruno Sourdin) 



On peut retrouver ces poèmes dans le magazine littéraire Empty Mirror. Ce site, dédié à la Beat Generation et à la poésie post-Beat, est animé par Denise Enck, à Bellington, dans l'état de Washington (au sud de la frontière canadienne):
https://www.emptymirrorbooks.com/poems/new-poems-by-gary-cummiskey
http://denise-enck.com