12/04/2021

Une virée avec le poète argentique au pays de nulle part

 

F.J. Ossang, poésie, cinéma et rock'n'roll.




Comme l’avait fait jadis Freddy Sauser en affichant un nom nouveau - Blaise Cendrars - mélange de braises et de cendres, F.J. Ossang s’est construit un nom de plume éclairant, fusion d’os et de sang. Plus qu’un simple pseudonyme, c’est un emblème d’écriture foudroyant. Vivre sa poésie, à perdre haleine. Expérimenter. Ecrire, chanter, filmer: tout à la fois. Et toujours rester en éveil. Inventer. S’arracher. Percer. Creuser jusqu’à l’os. Presser jusqu’au sang. Et renaître à chaque fois.







Ecrivain, cinéaste et punk libertaire, F.J. Ossang décline son univers poétique sous le signe de l’urgence et de la diversité. Ses films en argentique, qui font désormais l’objet de rétrospectives internationales, sont toujours captivants. Le dernier en date, 9 Doigts, qui débute comme un polar nocturne, est un film d’aventure maritime à vous couper le souffle. Magloire est embarqué par une bande à bord d’un étrange cargo. Le prisonnier devient complice mais rien ne se passe comme prévu à bord du navire, victime d’une machination conduite par le mystérieux 9 Doigts. 


Magicien du montage et de l’expérimentation, Ossang  distille ses énigmes avec détermination. Il filme ce qu’on voit sur le cargo pour pouvoir filmer ce qu’on n’y voit pas. Au final, l’intrigue ne compte plus. On est emporté, envoûté par la magie des images. Ossang est un grand raconteur. 


Son cinéma en toute liberté est à voir et à revoir. Et à réécouter, car la bande son est remarquable, signée par Jack Belsen, le compositeur et guitariste des Messageros Killers Boys. Ossang fonde le groupe MKB Fraction Provisoire en 1980. Insurrection punk, noise’n’roll, musique industrielle: une matière sonore frénétique. Dans le labyrinthe d’une histoire, les mots et les sons s’enchevêtrent. Ils s’entrechoquent comme des silex pour créer de magnifiques et étranges étincelles.






Le dernier livre de F.J. Ossang, « Fin d’empire », est d’ailleurs dédié à Jack Belsen, disparu en 2018. Après le tournage d'un film, le « poète argentique » revient toujours à l’écriture. Et c’est une nouvelle façon, en contrepoint, de raconter le film. 

Dès l’incipit, c’est une adresse à la poésie:

« La poésie, la poésie sortie des pages, tombée de l’échafaud,

Qui travaille hors du silence et hors du bruit,

hors du temps, qu’on ne rattrape jamais »

La poésie d’Ossang est un vertige de mots, parfois sans phrase. Sa poésie est un acte :

« C’est avant les glaces et sans plaine, découvrant le possible

enterrement de tout -

la poésie décidément n’existe qu’en son acte,

tout est morne visage bleu jaune vert violet

mâchoires difficiles c’est la mort »


« Fin d’empire » peut se proposer comme un voyage dans le temps et hors du temps, voyage qui n’est pas sans danger: dans le Nowhereland, dans ce pays de nulle part, « pays létal », tout peut arriver: 

« Des têtes volent, l’angoisse du métal

Monte, elles augmentent le rêve ».


Depuis ses premiers écrits dans la revue CÉE, qu’il a créée en 1977, F.J. Ossang est attiré par le vide. Son univers inquiétant, menaçant s’est nourri aux techniques de détournement des situationnistes et peut-être surtout aux déconstructions/reconstructions de William Burroughs, sur lequel il a écrit un petit livre précieux (1). Rien n’est vrai, tout est permis. On doit aussi à CÉE quelques pages stimulantes de Claude Pélieu, dont Ossang dit, avec raison, qu’il « a réveillé la littérature française dès 1967 » (2).  On lui doit également la redécouverte capitale de Stanislas Rodanski, poète surréaliste exclu du groupe en 1948 pour « travail fractionnel » et qui entra volontairement dans un hôpital psychiatrique, d’où il ne sortira plus.


Mais revenons à la poésie d’Ossang. Au bord du vide, il décoche des fragments de nulle part. Un choc. Vertigineux.

« Le vent tourne - la planète sonne - il fait orage.

La langue ne satisfait plus sinon dans un jeu d’excellence -

perdue.

Histoire d’un empire qui se délite sans plaisir, craque,

cède par lambeaux »


« Fin d’empire » se parachève sur l’Île de la Terreur. 

« Dans l’Île de la Terreur, il n’y a ni rue ni routes -

juste cette piste où une seule voiture noire

fonce sous les arbres,

trace des territoires plus qu’elle n’en traverse »


Les visages se bousculent dans un ciel de nerfs. Un univers pétrifié se dresse. C’est dans ce refuge qu’opère le docteur Machine. On est emporté, comme en rêve, mais il faut rester en alerte: « cette île promet un séjour terrible si l’on n’y prend garde - mais à la fois c’est le seul endroit où trouver refuge ». Et c’est nous qui sommes là, dans le chaos de cette île. Nous sommes seuls. Qui sommes-nous? Comment survivre?


« J’interroge la Providence. Qu’est-ce qu’il se passe,

Les humains qui courent en bas ne sont plus des êtres humains.

Mais c’est quoi l’Homme? »


Qu’est-ce que l’homme en effet? Non pas l’homme parfait, augmenté, mais l’homme fragile, vulnérable. L’homme accompli? La poésie, c’est aussi l’art de poser des questions.


Bruno SOURDIN.



F.J. Ossang: « Fin d’empire », Le Corridor bleu, février 2021.



  1. "W.S. Burroughs vs formule-mort", de F.J. Ossang, Jean Michel Place/poésie, 2007.
  2. Claude Pélieu-Washburn figure dans numéro 6 de la revue CEE, 1978. L’année suivante, Ossang publie aux Céeditions Cartes postales USA (pris par le vent), un sommet de l’oeuvre poétique pélieusienne.