04/02/2018

80 outsiders magnifiques et obstinés

Né à Paris, Guy Darol a retrouvé près de Morlaix ses racines bretonnes.  (Photo Ouest-France)



Ed Sanders tenait une petite librairie alternative au cœur du Lower East Side, une boutique baptisée Peace Eye Side. C’était un haut lieu planant où se rencontraient Allen Ginsberg et les Beats de New York. Sanders était aussi un éditeur marginal : Fuck You Press édita Automatic Pilot, le premier livre américain de son ami Claude Pélieu. « J’ai appris de Claude, a-t-il raconté, la technique intéressante consistant à dévaler les collines escarpées près de North Beach sur les toits des automobiles en stationnement. » Joyeusetés de deux poètes Beats en cavale ! Ed Sanders avait aussi fondé, avec Tuli Kupferberg, le groupe des Fugs, si caractéristique de la contre-culture des années 60-70, les heures glorieuses de l’underground. A l’heure du cauchemar de la guerre du Vietnam, sexe, drogues et contestation de l’establishment étaient ses refrains favoris.

Erudit cool (je me souviens qu’il fonda, avec Christian Gattinoni, la revue Crispur dans les années 70), Guy Darol raconte par le menu et avec virtuosité l’art de Sanders, « un alliage post-dada de satire et de philosophie joyeuse qu’avaient illustré, dans une veine assez semblable, les Mothers of Invention. » Grand spécialiste de Frank Zappa, il signe, avec Outsiders, une formidable galerie de portraits de 80 francs-tireurs du rock. Ceux qu’il appelle très joliment « les héros de la malchance ou du malentendu ».

Certains sont devenus cultes, comme Syd Barrett, Kevin Ayers, Captain Beefheart, Moondog... D’autres méritent d’être très sérieusement revisités. Par exemple ? Sean Bonniwell, précurseur du punk rock et de son énergie explosive avec Music Machine, un des meilleurs garages bands des sixties ; Roky Erickson, inventeur et roi du rock psychédélique; le singulier Merrel Fankhauser, hanté par la disparition du continent Mu ; Sky Saxon, créateur illuminé des Seeds ; Luke Faust et ses partenaires d’Insect Trust, qui savaient si bien mélanger le folk et le blues avec de surprenantes digressions en mode ragga ou free jazz…
Ils sont ainsi 80 :  pas un ne laisse indifférent.


Voici comment Darol raconte la fin tragique de Karen Dalton : « Aperçue du côté de Woodstock, elle errait désormais dans les rues de New York, rongée par l’addiction aux drogues et malade du sida, avant de s’éteindre aux côtés de son fils, Johnny Lee, le 19 mars 1993, à l’âge de cinquante-cinq ans. Dès lors son nom se mit à scintiller, comme l’un des joyaux de la folk injustement oublié. » Elle avait vu l’enfer mais nous laisse une œuvre vraiment somptueuse, qu’il faut redécouvrir.

Le livre de Guy Darol est un sacré monument. Brillant, impressionnant et très émouvant. Indispensable. C’est aussi le livre d’un écrivain que l’on aime depuis si longtemps.

B.S.

Guy Darol : Outsiders, 80 francs-tireurs du rock et de ses environs, Castor music, 2014.

(article publié dans Quetton l'Arttotal, la revue de JF Rocking Yaset. Numéros 34 et 35, décembre 2017)




Guy Darol est un grand spécialiste de l'oeuvre de Frank Zappa (le dernier livre en date est une biographie, en 2016, chez Folio Gallimard). Il collabore régulièrement à Muziq et à Jazz Magazine. Mais c'est surtout un écrivain très éclectique: il a écrit des romans (dont le beau Guerrier sans poudre en 2014 aux Editions Maurice Nadeau). Ses essais sur André Hardellet et Joseph Delteil (deux écrivains "outsiders" de la littérature française) sont remarquables. 

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