06/01/2023

Deux poètes-ermites japonais dans leurs refuges célestes

Hokusai: "La cascade de Yoro"

Urabe Kenkô et Kamo no Chômei sont deux poètes-ermites, deux grands classiques de la littérature japonaise. Sous le titre de Cahiers de l’ermitage, les éditions Gallimard publient un choix de textes dans leur collection Folio Sagesses. A la manoeuvre, Zéno Bianu (1), qui accompagne et préface les pensées de ces deux moines bouddhistes « sur les sentiers de la vraie vie ».


Kamo no Chômei.

Chômei raconte le chaos d’une époque agitée. Sa vie est émaillée de catastrophes et de calamités (tremblements de terre, incendies, famines) et il est écarté du poste qui devait lui revenir de son père. Jusqu’à l’âge de 50 ans où il décide de quitter sa maison et de dire adieu au monde. « Où faudrait s’installer?, s’interroge-t-il. Que faudrait-il faire pour être un peu tranquille et pour goûter ne serait-ce qu’un instant le contentement du coeur? »


La réponse ne tarde pas à venir: il ne faut pas s’attacher aux choses de ce monde. « Au fond, toutes les entreprises humaines sont stupides et vaines. »


Il se retire au fin fond de la montagne, au sud de Kyoto. Dans les pas du Bouddha, il prend le nom de Ren’in. Il bâtit un minuscule ermitage, une cabane de 10 mètres carrés, et se consacre à la poésie et au biwa, le luth japonais. Son biwa ne le quitte jamais, avec lui il accompagne la mélodie du vent dans les pins. « Je ne suis pas un artiste habile, mais je dois dire que je ne joue pas pour réjouir les oreilles d’un auditoire. Je joue seul, je chante seul, pour mon propre plaisir. »


Chômei a vraiment pris conscience de la précarité des choses et mène désormais une vie solitaire apaisée. En 1212, il écrit son chef-d’oeuvre, le Hojoki, traduit en français par Notes de ma cabane de moine, et qui commence ainsi: « La même rivière coule sans arrêt, mais ce n’est jamais la même eau. De ci, de là, sur les surfaces tranquilles, des taches d’écume apparaissent, disparaissent, sans jamais s’attarder longtemps. Il en est de même des hommes ici-bas et de leurs habitations.»


Du livre de Chômei, se dégage une grande sérénité et un soulagement. Enfin il se sent libre et en paix. « Depuis que j’ai quitté le monde, et que j’ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J’abandonne ma vie au destin, je ne désire ni vivre longtemps, ni mourir vite. J’assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n’y accroche pas mon espoir et n’éprouve pas non plus de regret. Pour moi le plaisir suprême est celui que j’éprouve sur l’oreiller d’une sieste paisible, et l’ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage. »



Urabe Kenkô.

Le destin de Urabe Kenkô, qui vit au 14e siècle, est semblable à celui de Chômei. Officier des gardes du palais impérial, lui aussi décide de prendre congé de la vie publique, de se retirer dans un temple de montagne et de devenir moine et ermite. « C’en est fini de l’ennui, et même des souillures du coeur. On se sent purifié. »


Lui aussi a écrit une oeuvre qui est considérée comme un joyau de la littérature japonaise, le Tsurezuregusa (traduit en français par Les heures oisives). Il s’agit d’une collection d’essais, de pensées écrites « au fil du pinceau ». « Le temps passe, tout fuit, joies et peines alternent, tel lieu où brille la gaité est devenu désert sans vie. »


Et en effet à quoi bon s’attacher? « La lune une fois pleine décroit , écrit-il avec simplicité. Après un apogée, c’est le déclin. Quiconque est trop comblé suit le chemin de la catastrophe. » Alors que vous reste-t-il? « La beauté fugitive des saisons dans le ciel », répond-il sans hésitation. 


Comme Chômei, Kenkô s’est imposé une vie frugale et a refusé le luxe et les honneurs. « Ne point posséder de richesses ni convoiter les biens de ce monde, voilà pour l’homme le vrai bien. »


De ces deux classiques de la littérature médiévale japonaise, il se dégage une extraordinaire sérénité et un apaisement qui nous touche au plus vif. Laissons le mot de la fin à Zéno Bianu, le préfacier de ces Cahiers de l’ermitage. « Contemplant l’extraordinaire impertinence du vivant, nos deux ermites découvrent alors l’éternité même de la vie, son constant processus de renaissance et de transformation. » 


Et partons avec ces deux poètes vers des refuges célestes. Ils nous invitent simplement, comme Henry David Thoreau, quelques siècles plus tard au bord du lac de Walden, à « vivre à fond, sucer toute la moelle de la vie. »


Bruno SOURDIN.


Urabe Kenkô et Kamo no Chômei: Cahiers de l’ermitage, Folio Sagesses. Préface, choix des textes et notes de Zéno Bianu, Gallimard, 2022.





(1) Zéno Bianu a traduit avec Corinne Atlan deux anthologies de haïkus qui font référence: Haiku, anthologie du poème court japonais, Poésie/Gallimard, 2002; et Haiku du XXe siècle, le poème court japonais d’aujourd'hui, Poésie/Gallimard, 2007.

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