14/05/2022

L'âme du Cotentin, un inventaire

François Simon sur les quais de Cherbourg, dans la presqu'île aux trésors.          Photo Ouest-France


Nous attendions avec impatience que François Simon raconte son Cotentin. Personne mieux que lui n’a écrit sur ce pays du bout du monde, « ce pays amphibie, boulevard des coups de chien, presqu’île aux trésors ». Le livre vient de sortir et il est merveilleux. « Tout est sorti d’un jet, comme lorsque l’on marche sur un tube de dentifrice non rebouché. »


Né natif du nord de la Manche, François Simon est revenu vivre dans la presqu’île après une riche carrière de grand reporter au journal Ouest-France. Son livre est intitulé L’âme du Cotentin. L’âme? Oui, mais, comme son auteur aime les facéties, la couverture nous montre un « âne », un âne gris du Cotentin que les gens d’ici appellent « un quéton ». 


Le quéton et les 57 dessins qui illustrent l’ouvrage sont signés par Yann-Armel Huel, lui aussi journaliste à Ouest-France, qui  fit ses débuts dans la Manche et vit aujourd’hui à Rennes « avec un bout de coeur resté pour toujours dans le Cotentin ». On le comprend.


Avec L’âme du Cotentin, François Simon nous fait entrer dans un continent insoupçonné, qu’il raconte avec une grande humanité. Ce livre touchant, intime, résonne longtemps en nous.


Jacques Prévert était tombé amoureux du cap de la Hague dans les années 30. Il aimait y séjourner, il avait ses habitudes: « la chambre 7 de l’Erguillère surplombant Port-Racine »,  quand il cherchait une maison « dans le Finistère le plus proche de Paris ». Le Cotentin fut donc son dernier refuge. A 70 ans, il acquit une maison dans le village du Val, à Omonville-la-Petite. Il repose désormais dans le cimetière communal aux côtés de son ami et complice Alexandre Trauner, le grand décorateur de cinéma. 


Jacques Prévert adorait ce petit bout de terre qui s’enfonce dans l’océan. Amoureux des mots, il affectionnait les facéties, les bizarreries et … les inventaires. Quoi de mieux qu'un inventaire, en effet, pour saluer cet asile de paix. Un inventaire sans raton laveur mais avec quelques quétons, tendres, malins et ricaneurs. Car le quéton, comme l’écrit François,« c’est un typique de chez nous ». 

Bi l’boujou, mister Simon!






L’âme du Cotentin, un inventaire

(pour François Simon)


Une averse

deux goélands

trois soudeurs

quatre parapluies 

une rade

des sous-marins


un quéton


douze sortes de pluies un empereur une améthyste

un bar à matelots 

une gueule d’atmosphère

six écaillers

un mouton à tête noire 

une femme qui valse


un autre quéton


un rêveur d’escales

une tête de cheval dorée

deux coiffes de mariage

un angélus

cinquante nuances de gris

une vache

un taureau

deux châteaux de sable trois huttes à biches quatre pompons rouges

un tigre d’écume

une notre bleue

une frégate sous voile

un vent inépuisable

et…


cinq ou six quétons


une digue de dingues

un souverain décoiffé

une tempête

un blockhaus douze patrouilleurs une station-service

un troupeau de cotentines

un pont tournant deux cocus du port trois shadocks quatre horsains

un taiseux mille migrants et beaucoup de poumons brûlés

un cheval qui trotte

un bout du monde deux traits de chalut, trois cafés calva

un manchot

l’usine Port Racine la chambre 7 de l’Erguillère

et…


plusieurs quétons


Bruno SOURDIN.




L’âme du Cotentin, par François Simon, Orep éditions, 2022.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire