Marie-Josée Christien: une poésie toute intérieure, habitée de magnifiques fulgurances. |
J’ai
découvert l’œuvre poétique de Marie-Josée Christien dans un petit livre
magique, publié il y a un peu plus de 10 ans à Vannes. Il était intitulé Sentinelle. J’aimais bien le titre et
j’ai tout de suite été conquis par cette voix de femme, simple et claire, qui
vibrait d’un éclat secret : « Le sombre du soir/ habille de
sentinelles/ les silences/ entre les mots ». C’était superbe. J’étais
fasciné par cette poésie toute intérieure, habitée de magnifiques fulgurances,
qui disait à merveille l’esprit sauvage que nous portons tous en nous, peu ou
prou. Ce recueil était hanté par les silences, par « le froissement intime
de l’invisible ». Il m’allait droit au cœur. J’aimais beaucoup ce ton. Je
l’aime toujours.
Deux
ans plus tard, avec Entre-temps, j’ai
été heureux de retrouver le charme fascinant de son écriture. Elle excellait
dans l’évocation des paysages d’hiver, la saison où la terre se durcit, où les
arbres se figent, où « le soleil éparpille/ le frisson noir du corbeau/sur
la neige». L’hiver, c’est la saison de la lucidité, du retour sur soi,
celle où la présence de la mort se raffermit, où le poète sent le vent se jeter
sur ses épaules « comme un linceul » et tremble d’exister. Temps du
deuil mais aussi temps de l’éblouissement et de la célébration du ciel et de la
terre.
Je trouve
superbe le travail d’écriture de Marie-Josée, qu’elle explique d’ailleurs le
plus simplement du monde : « Je creuse les mots/ qui tiennent en
éveil/ au bord de la falaise ». Simplicité, densité et attention à chaque
vibration de vie. « Quelque chose ici/ se murmure/qui échappe à la
mort ».
Ancrée
dans sa terre natale, la Cornouaille morbihannaise, la poésie de Marie-Josée Christien
est ouverte sur le monde, comme celle d’Armand Robin, dont elle aime
recommander la lecture. Elle aussi englobe tous les mouvements de l’univers,
car la Bretagne, c’est un univers. « Je suis à terre/ au milieu des
mondes/ qui se superposent », écrit-elle dans L’archipel intérieur. C’est aussi ce voyage entre l’intime et
l’universel qui me fascine durablement chez elle.
« La
nuit bouscule ses étoiles », écrit-elle dans Les extraits du temps. La terre est « devenue comme un pierre.
Des yeux cherchent éperdument dans le noir. Lorsque s’ouvre une fenêtre, c’est
l’espoir qui renaît, le courage qui nous soulève, « quelque chose nous
fait trembler ». Dans ce royaume des ombres, le poète s’entête à explorer
les rêves des hommes et à leur poser d’incessantes questions, « car
questionner reste l’essence de notre espèce ».
Marie-Josée
Christien réussit parfaitement à reconstituer la transparence de l’instant.
J’aime cette voix âpre et lumineuse, simple et complexe, minérale et sauvage,
cette parole lapidaire qui m’accompagne comme le frisson noir du corbeau sur la
neige.
Bruno SOURDIN.
La revue Chiendents (Editions du Petit Véhicule) a consacré son numéro 118 à Marie-Josée Christien, "La poésie pour viatique". |
Le sombre du soir
habille de sentinelles
les silences
entre les mots
j'interroge
les jours de patience
où les présages balbutient.
(Sentinelle, Citadel Road Editions, 2002)
La présence d'un temps sans âge
murmure
en ses tressaillements
Goutte après goutte
me parvient
le grand silence nomade
l'éphémère passage de tant d'éternités.
§
Dans l'étreinte des origines
de ses secrets murmurés
lorsque tremblent ou se figent
les signes morcelés
un instinct de lumière
nous parvient.
§
La pénombre de Lascaux
entrevue
et signe
la permanence
de notre race si vieille
Son obscurité
éveille des échos lumineux
apprivoisés
par intermittence.
(Lascaux et autres sanctuaires, Jacques André éditeur, 2007)
Mémoire
de la terre embrasée
la pierre suspend
les impatiences
j'attends
que se développe lentement
une parenthèse de sérénité
où les mots
polissent leur vérité
pierre après pierre.
(Pierre après pierre, Editions Les Chemins Bleus, 2008)
Le vent et l'arbre
bavardent
en secret
Ils parlent de printemps
§
L'arbre
abri du vent
toujours insaisissable
fait corps
avec ce qui lui échappe
C'est toute la terre
qui se hisse
vers les étoiles.
§
A la cime de l'arbre
le vent ouvre
l'envol des oiseaux
sous le passage des jours
furtif passant
à la croisée
du ciel et de la terre.
(Conversation de l'arbre et du vent, Tertium éditions, 2008)
La nuit bouscule ses étoiles
Il pleut du sable et du coton
Le silence
tisse ses soupirs
il cherche ses alliés.
§
Barnenez *
Je sens la pierre
la terre une fois de plus
indubitables
le plus beau monument humain
le plus majestueux
le plus simple
comme si une beauté très lointaine
m'était enfin rendue
sans que je puisse comprendre davantage.
* Cairn à Plouezoc'h dns le Finistère
§
La mort même paraît vaine
devant ce qui se plie et déplie
Tout s'allonge lentement
jusqu'à disparaître
au ras du sol
Les progrès n'existe pas
Aucune réponse définitive
à nos questions
Mais questionner reste l'essence
de notre espèce.
§
Rien n'est plus sacré
que notre énigme
enfouie dès l'origine
au plus profond de notre espèce
Inutiles témoins de l'astre refroidi
nous voici
pour être et disparaître.
(Les extraits du temps, Editions sauvages, 2009)
Marie-Josée CHRISTIEN.