Puisqu’il me faut quitter cette terre où je ne reconnais
plus rien, ni les rivières ni les arbres ni l’eau ni le vent
Je ne voudrais pas partir sans dire adieu à l’étoile qui me
suivait
Adieu à l’air du printemps, au cri des corbeaux oiseaux
vagabonds
Adieu à l’esprit du tonnerre et de la fumée, à l’esprit qui
souvent proteste
Adieu aux nuages et à l’herbe fraîche
Adieu à la machine à pluie, à l’arc-en-ciel laissé à
l’abandon
Adieu à la plus belle nuit de ma vie, à cet étrange
sentiment d’éternité
Adieu à la foudre dans le vide obscur
Adieu à mes enfants aux yeux de soleil, société secrète
des corps immobiles
Adieu aux galops des chevaux, cliquetis incessants de la
pendule
Adieu à ma maison pleine de livres
Adieu aux foules sans noms, têtes de mourants terrifiés
Adieu aux mamans brûlées vives entre les mains de la bombe
Adieu aux visages cloqués et écorchés, muses irradiées
accablées de chagrin dans la nuit qui tonne
Adieu aux esprits anéantis avalés par le champignon géant,
aux esprits rampant dans leurs excréments
Silhouettes écorchées, restes calcinés des villes, peaux
arrachées, décombres en flammes
Adieu au crépuscule de fer
Adieu poème mort
Je ne voudrais pas quitter cette terre sans dire adieu à ma
douce mère, frères humains méconnaissables
Adieu hirondelles âmes brillantes et salut aux nouveaux
fantômes déjà en marche dans l’inconnu
Bruno Sourdin
(L'Air de la route)