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Jean Follain. Photo Archives Ouest-France
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A Canisy, au pays de la mémoire, Jean Follain libère le flux vital de sa Normandie natale. Une vision colorée et planante, à laquelle il est resté fidèle toute sa vie.
Jean Follain est né à Canisy le 29 août 1903 dans la maison de sa grand-mère. C’est dans cette bourgade de la Manche, proche de Saint-Lô, qu’il a passé les premières années heureuses de sa vie. Canisy est la meilleure porte d’entrée dans son oeuvre.
« Je vivais en partie chez ma grand-mère maternelle, veuve de mon grand-père Heussebrot, notaire, et en partie chez mes grands-parents paternels, mon grand-père était instituteur à Canisy. » (1)
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La maison natale à Canisy.
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De la fenêtre, il voyait passer les femmes allant traire les vaches:
« Les unes portaient sur leur épaule les cannes de cuivre rouge; chez d’autres, les timbales pendaient de chaque côté du joug de bois enserrant leur cou. Certaines étaient assises sur des ânes rétifs et d’autres poussaient de petites voitures à deux roues contenant les cruches. » (2)
Follain n’a jamais guéri de son enfance. Il a profondément aimé cette vie rurale pure et essentielle et en a gardé des souvenirs extrêmement vivaces, qui reviennent sans cesse dans son écriture. Un capital poétique d’une étonnante vivacité.
« Dans les champs
de son enfance éternelle
le poète se promène
qui ne veut rien oublier. » (3)
Follain a une mémoire extraordinaire, transparente, surprenante.
« J’avais cinq ans lorsque mon frère naquit. La consistance du pain de ce jour-là m’est présente et celle du ragoût d’un brun chaud garni de pommes de terre couleur d’ambre et posé dans un plat rond. » (2)
Ah! les pots de crème à la vanille qu’il allait saisir dans le buffet; ah! le goût « magnifique et fier » du pain lorsqu’il avait faim; ah! le cidre « avalé par rasades à longs traits » - ce pur jus d’or qui est le breuvage légendaire des Normands. Follain est un gourmand obstiné. Toute sa vie, il sera obsédé par les saveurs de la cuisine normande, la soupe à la graisse, le plat de sang, le hâ à la crème, le sirop de cidre, le poulet aux pruneaux. Tout restera toujours chez lui prétexte à repas plantureux.
Les souvenirs heureux de cette grande cuisine de campagne sont innombrables et invitent au rêve.
« Un bel oiseau rôdait autour du coeur; nous entendions fondre la cire, crépiter le bois,
l’eau bouillir et les oeufs neiger,
sonner l’horloge et s’écrouler les cendres. » (4)
Les images de sa bourgade et les odeurs de sa jeunesse ne le quitteront plus. Il n’oubliera jamais non plus la boucherie resplendissante où l’on apercevait « l’éclair du couperet »; la petite quincaillerie où l’on vendait « des cadenas noirs et argentés et les fragiles verres pour les lampes »; le bureau de tabac qui voisinait avec la maison du bedeau « que l’on pouvait voir cuisant des hosties sur les charbons »; l’épicerie d’enfance, enfin, « où un enfant venait acheter des bonbons rouges et verts qui restaient collés les uns aux autres dans leur bocal et qu’il fallait disjoindre avec la pointe des ciseaux ».
Prenons la direction du château de Canisy - où, de nos jours, Joan Baez aime venir se reposer lors de ses tournées en Europe, loin des fureurs du monde, à l’invitation du châtelain, son ami Denis de Kergorlay.
Le château est magnifique. Ecoutons Jean Follain: « Au bout de l’avenue s’élevait le château aux tourelles ardoisées, à la maçonnerie de pierres violâtres. Ma grand-mère paternelle et moi traversions la cour d’honneur pour aller jusqu’à la maison du jardinier qui, avec sa serpillière bleue, au milieu des poiriers aux nodosités sombres, des châssis ocreux et des feuilles dentelées, lobées, frémissantes sur les tiges penchées, épiait les signes du ciel. »
Aux abords de l’étang, il se cachait pour lire, il entendait brouter les vaches, des gens « devisant de vie ou de mort ». Un jour dans le parc, il aperçut au ciel « deux grands disques, l’un vert et l’autre rouge, qui se multiplièrent autour du soleil ». « Le juge de paix, ajoute Follain sans trop y croire, prétendit que la cause de ce phénomène était un tremblement de terre en Angleterre. » (2)
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Jean Follain est inhumé dans la tombe de son grand-père.
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En suivant la rue de Kergorlay, on passe devant le cimetière. Sur la droite, on aperçoit la tombe où reposent Jean Follain et son épouse, Madeleine Dinès. Ils sont inhumés dans la tombeau du grand-père Heussebrot. Leur nom n’est pas gravé sur la pierre tombale.
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Le mariage avec Madeleine Denis.
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Jean Follain par Madeleine Dinès.
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Madeleine était la fille de Maurice Denis, le célèbre peintre du groupe des Nabis, que l’on surnommait « le Nabi aux belles icônes ». Madeleine s’était mariée avec Jean Follain en 1934. Ils ont vécu à Paris, séparément. C’était une femme indépendante, une artiste peintre singulière, convaincue de sa vocation artistique (elle signe Madeleine Dinès). Une femme moderne.
Dans le livre qu’il consacre à Canisy, Jean Follain fait cette remarque saisissante: « On prononçait rarement seul le mot amour, bien qu’on ne fût pas sans parler d’amoureux, de promis, de futurs et de futures. » Fidèle à cette tradition, Follain évite lui aussi l’emploi de ce mot. Il n’était certes pas un grand amoureux.
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Le pont de la Calenge. Photo Archives Ouest-France
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En se dirigeant sur la route de Quibou, on découvre un petit pont au-dessus de la rivière la Joigne. « Ce pont à l’arche unique était à l’entrée du village de la Callenge et donnait au paysage un goût d’idylle, de désoeuvrement, de regret ». (2) Goût d’idylle qui reste bien présent aujourd’hui.
En Normandie, Jean Follain aime par-dessus tout le cérémonial.
« Ce qui a poétisé pour moi cette vie de la bourgade normande et de ses villages, c’est le goût de la cérémonie et du cérémonial qui se manifestait, se manifeste encore parfois, dans la vie dominicale. » (1)
A l’église, il ne parle jamais de foi ni de message évangélique. Mais il est incollable sur le décor et les liturgies, les processions de chantres, les musiques… « Les chantres portaient une chape où étaient brodées des roses rouges; autour du lutrin, se pressaient avec eux des hommes en soutane et surplus, jouant l’un d’une basse, l’autre d’un piston et le troisième d’un saxophone. » (2)
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En chape à La Lucerne en 1967.
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Les amateurs d’insolite n’oublient pas qu’il a composé un Petit glossaire de l’argot ecclésiastique pour le moins étonnant. Quel poète autre que lui se serait laissé photographier en chape de drap d’or devant une vieille église ?
Dans la Normandie d’autrefois, le goût de la cérémonie imposait résolument ses rites.
« Beaucoup d’hommes assistaient à la grand-messe. La plupart portaient la blouse et le chapeau Cronstadt. Quelques-uns, le jour de Pâques, arboraient un complet veston et un chapeau de soie. L’usage était que les hommes n’entrassent à l’église que lorsqu’ils entendaient chanter le Gloria. » (1) C’était au temps où les paroissiens allaient en pèlerinage à la Chapelle-sur-Vire, à une quinzaine de kilomètres de Canisy. Et, ajoute Follain, malicieux, « chacun en revenait par ses propres moyens et parfois fortement pris de boisson ».
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Jean Follain avec Georges Schehadé et Max Jacob, années 30.
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A 22 ans, il gagne Paris. Il deviendra avocat puis magistrat. Dans ce Paris des Années Folles, il fréquente les milieux littéraires et artistiques. Il publie en 1928 son premier recueil de poèmes qui marque l’émergence d’une poésie nouvelle. Il rencontre André Simon, Max Jacob, Eugène Guillevic qui lui ressemblait si peu mais qui est devenu son ami. Leur amitié sera profonde. Il honore les diners de Grabinoulor qui réunissent autour de Pierre-Albert Birot de nombreux artistes.
Sensible aux natures mortes, familier des scènes intimistes des peintres nabis, il rencontre chez les cubistes le sens de l’objet.
« Étant enfant, j’aimais me tenir, durant les trois heures que durait le marché cantonal, sous la tente d’un poissonnier qui débitait du hâ, gros chien de mer que je n’ai vu vendre que dans le Cotentin. Les rouelles de ces poissons solidement architecturées, façonnées sous le couteau du poissonnier, m’emplissaient d’un poétique sentiment qui n’était qu’un merveilleux amour des formes encore fortifié si au-dessus de l’étal voué aux géométries du découpage se développait un ciel d’un bleu intact. »
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Charlot cubiste par Fernand Léger.
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Poète d’une immense culture, Follain ne faisait aucun différence entre la peinture et la poésie. C’est ainsi qu’il fait le lien, totalement inattendu mais ô combien stimulant, avec l’oeuvre de Fernand Léger. « La peinture de Fernand Léger illustre pour moi la beauté de pareilles coupes franches dans la matière du monde, faites non dans un laboratoire d’esthète mais en plein air et sous la crudité d’un ciel à la pure couleur. » (6) A Paris Max Jacob lui avait dit: « Tu n’écris pas avec des mots, tu écris avec des objets ». Un écart absolu qui l’avait réjouit et qu’il n’a jamais oublié.
Follain était un homme paradoxal. Solitaire, mélancolique, il aimait plus que tout les tablées d’amis. Dans ses Agendas, il a relevé des centaines de dîners où les menus sont scrupuleusement détaillés. Sans ces soirées parisiennes, où sa parole est éblouissante, il ne peut pas vivre.
Ce qui ne l’empêchera pas de rester très attaché à son pays natal où il revient régulièrement. Un pied à Canisy, où il est seigneur sur ses terres, un autre à Paris. « Une divinité se cache en toi Paris: c’est la mer des ténèbres; parfois le soir rien ne se résout, tout se perd et se meurt, se cache et parlemente avec la nuit miraculeuse. » (5)
Il disparait prématurément à 68 ans, le 9 mars 1971, renversé par une voiture sur le quai des Tuileries, alors qu’il rentrait d’un banquet.
« Ah! comme le monde est dur
comme est dur son diamant »
Bruno SOURDIN
- Cérémonial bas-normand, Fata Morgana
- Canisy, Gallimard
- Exister, Poésie/Gallimard
- Usage du temps, Gallimard
- Paris, éditions Phébus
- Les Uns, les Autres, Rougerie