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Gary Cummiskey |
Gary Cummiskey est un poète d'Afrique du Sud vivant à Johannesburg. Éditeur à l’enseigne de Dye Hard Press, il a publié des écrivains sud-africains contemporains, ainsi qu’un essai sur le poète Sinclair Beiles, qui avait vécu à Paris dans les années 60 au fameux Beat Hotel de Paris et participé au premier livre de cut-ups, Minutes to Go, avec William Burroughs, Brion Gysin et Gregory Corso.
Gary Cummiskey est un éditeur plein d’énergie, curieux, passionné par les avant-gardes du monde entier, particulièrement à l’écoute des poètes de l’Inde d’aujourd’hui et des écrivains de la Beat Generation. Une personnalité solaire et un esprit amical et ouvert.
Il est aussi un poète singulier, auteur de pièces étranges, empreintes de rêves et de cauchemars. Les sept courts poèmes que nous faisons paraître ici sont extraits de son dernier recueil, Somewhere else, édité à Calcutta (Inde) en février 2024 par Subhankar Das, éditions Graffiti Kolkata.
Marginal
C’est vrai que je n’habite nulle part. Je n’ai pas de visage. Je suis un oiseau, une loutre, une part de pizza, un mensonge. Je plante des champignons dans des huttes et je rassemble des chevaux dans les townships (1). J’erre dans le désert de Karoo (2) en chemise verte et avec un affreux maillot rouge – je suis un fan de football égaré dans une vallée peuplée de marginaux et de mendiants qui frappent sur un tambour cassé.
1. On appelle townships les bidonvilles d’Afrique du Sud.
2. Le Karoo, « pays de la soif », est une région désertique d’Afrique du Sud.
***
Parfois
Parfois
nous jetons du sable par les fenêtres
Parfois
nous mettons le feu aux voitures
Parfois
nous dormons nus sous des couvertures violettes
Parfois
nous dessinons des femmes étranges qui dansent dans des usines délabrées
qui jouent de la batterie dans les bois
qui peignent des monstres masqués
Parfois
nous nous retrouvons seuls dans des champs jaunes
à écouter du jazz des années 20
à transporter des jouets cassés sur le dos
à noyer le poisson
à peindre les fesses en rouge
Parfois nos rêves se réalisent
***
Jaguars sur le sable
Hier le vent était glacial
aujourd'hui je suis torse nu et en short.
Deux filles – l’une chinoise, l'autre indienne –
se filment
dansant dans les vagues.
Je suis imprégné d'histoires anciennes,
je rêve de jaguars sur le sable.
Je me réfugie dans le silence,
craignant de trouver les policiers qui m’attendent
à mon retour à la chambre d’hôtel.
***
Devant un mur de pierre
Les fous pleurent
dans la nuit
comme des paons
devant un mur de pierre
près de l'eau
pendant que nous nous déshabillons
et rêvons de
peurs anciennes
de bougies qui s’éteignent
de cire
et de paons
disparus
***
L’oiseau va sortir
Oui, je peux voir ce qui se passe au-delà du rideau. Ma main est sur la balustrade du bord de plage. Le perroquet lève le bec pour se nourrir. « Que fais-tu ? » demande l’homme qui regarde par la fenêtre. Une aile cassée lui tombe sur le visage. Le chien aboie au moment où nous regardons tous l’appareil photo.
***
Le temps s’est envolé
J’ai essayé de trouver du temps, mais il était en rupture de stock.
J’ai fouillé tous les magasins de jouets des galeries marchandes de la ville, mais
Partout c’était la même chose.
J’avais pourtant espéré t’en ramener.
***
Bouche cousue
Bien que j’ai les yeux bandés, je sais que le ciel est noir et que treize oiseaux volent au-dessus de ma tête. Les oiseaux ne sont jamais tranquilles, mais je reste calme. Mon nez pourrait être long et pointu, pour autant aucun oiseau ne s’y reposera. Ma bouche est cousue ; j’ai bien des secrets à raconter, mais vous ne les entendrez pas. Peut-être un jour mais pas maintenant. Pour l’heure je garde le silence.
Traduit par Bruno Sourdin
Misfit
It’s true I live nowhere. I have no face. I’m a bird, an otter, a slice of pizza, a lie. I plant mushrooms in shacks and gather horses from townships. I wander through the naked Karoo in a green shirt and ugly red jersey – I’m a misplaced soccer fan in a valley full of misfits and beggars beating on a broken drum.
Sometimes
Sometimes
we throw sand from the windows
Sometimes
we set cars on fire
Sometimes
we sleep naked under purple covers
Sometimes
we draw strange women dancing in dilapidated factories
play drums in woods
paint monster masks
Sometimes
we stand alone in yellow fields
listen to jazz from 1920s lips
carry broken toys on our backs
muddy the waters
paint buttocks red
Sometimes we dream true
Jaguars in the sand
Yesterday the wind was icy,
today I’m shirtless and in shorts.
Two girls – one Chinese, the other Indian –
film each other
dancing through the waves.
I’m steeped in ancient history,
dreaming of jaguars in the sand.
I’m turning inward into silence,
with a fear of finding cops waiting
when I return to the hotel room.
At the stone wall
Crazies cry
in the night
like peacocks
at the stone wall
close to water
as we undress
and dream of
memory fears
breakdown candle
wax
peacocks
gone
Smile for the birdie
Yes, I can see beyond the curved curtain: my hand is on the beach-side railing and the parrot lifts its beak for food. “What are you busy with?” asks the man who climbs in through the window, a broken wing falling over his face. The dog barks as we all stare into the camera.
Time out of mind
I had tried to find time, but it was out of stock.
I searched every toy shop in every mall in the city, but
Everywhere it was the same.
I had been hoping to buy it for you.
Stitches
My eyes are blindfolded, though I know the sky above me is dark and thirteen birds fly around my head. The birds are never still, but I remain still. My nose might be long and pointed, but at no time will any of the birds rest there. My mouth is stitched; I have many secrets to tell, but you will never hear them. Or perhaps one day you will, but not now. For now there is only silence.
Gary Cummiskey, "Somewhere else", published by Subhankar Das at Graffiti Kolkata, India, february 2024. Cover art by Paul Warren.