Jean-Christophe Belleveaux à Madagascar, chez le barbier.
Trop d’horreurs, trop de haine, trop de peurs… Comment ne pas étouffer sur cette terre? Comment échapper au désespoir, à l’abrutissement, à la violence du monde? Jean-Christophe Belleveaux a sa bouée de sauvetage, c’est le voyage, « la communion avec le visage du monde ».
Depuis des années, il sillonne le globe. Le monde est son champ d’action. Il a choisi l’errance et sa curiosité est immense. Son énergie m’étonne. Sa vitalité et son enthousiasme m’épatent. Il aime vivre intensément et, par dessus tout, il aime la liberté. Le voyage pour obtenir la liberté.
Voyager et écrire. Jean-Christophe a décidé d’être simplement un poète sur la route et, au fil des années, il a créé, avec brio et esprit, une oeuvre de plus en plus riche et vibrante.
Sur l'île indonésienne de Flores, en communion avec le visage du monde. |
Ses carnets de route, d’une grande qualité littéraire, sont une forme d’ascèse. On y devine, à chaque étape, « l’aujourd’hui à tout instant », et c’est un grand apaisement.
Tout aimer, toujours. Explorer le monde d’un pas léger. A Tanger, dans la douceur de l’instant, il note « l’enchevêtrement du soleil, du pain rond et des olives, la parfaite insouciance ». A Tunis, c’est « l’effraction de la vie » qui l’emporte. A Rome, il s’interroge sur « la décomposition lente de l’être », il est le monde et le monde lui appartient.
En Tunisie, c'est "l'effraction de la vie".
A Chiang Khan, en Thaïlande, il observe « une combustion de sens enfouis, une fumée que voile le fleuve et les baraques sur pilotis ». A Phnom-Penh, « on circule à bicyclette dans l’espace étroit du monde » et, la nuit tombée, quel bonheur de manger du crabe au bord d’un lac puis, un autre jour, de caler son rêve aux berges du Mékong.
Au Laos, au bord du Mékong. |
Sur l’île de Komodo, en Indonésie, sur cette terre de cendre, « des bicoques branlantes penchent sur leurs pilotis, grises comme mon âme, trouées ».
Komodo, sur une terre de cendre. |
A Varanasi (Bénarès), il monte dans une barque et « accepte le courant ».
« En approche diagonale, le texte (ainsi du voyage): plis de la chair entre plis du sari, Varanasi, mâche donc la mort aussi bien que moi, vas-y, mastique, écrase sous ta peur et sous tes dents la maigreur et les mauvais sentiments, renifle; par les barques sur le fleuve, par les trains encombrés nous sommes allés; par nos pieds meurtris dans des godasses trop étroites et par la souffrance du rickshaw; mâche, te dis-je, les vaches, les temples, les hommes au front peint, mâche les vocables du mensonge, le réel agonise et je tremble à le dire, des singes crient puis mordent; mieux qu’une route maritime tracée au compas, cruel, superbe, l’instant advient. » (1)
Voyage et écriture sont intimement liés. En même temps qu’il écrit, Jean-Christophe photographie. Ses photos de voyage sont essentielles. Mots et images sont une même passion. Et ils répondent à une même recommandation: accueille tout signe, ouvre-toi, écoute. Et, « dans l’espace étroit du monde », sois amoureux de la vie.
Bruno SOURDIN.
(1) Jean-Christophe Belleveaux: « Les lointains », Éditions Faï fioc.
Dernières publications:
Indigo, c’est le titre, Pierre Turcotte éditeur, 2024.
Les lointains, Éditions Faï fioc, 2023.
Territoires approximatifs, Éditions Faï froc, 2018.
Varanasi: cinq photos et un poème
Varanasi (appelée autrefois Bénarès), est le haut lieu sacré de l’Hindouisme vers lequel convergent des milliers de pèlerins pour se plonger dans le Gange et s’y purifier. On assure qu’y mourir vaut des siècles de méditation. Jean-Christophe Belleveaux y a fait halte.
Varanasi
« inventant la borne et la transgression, la nuit donne des rives à l’Enfer
il est impossible de nommer, les paupières sont des remparts suffisants, les gréements de la raison se brisent et s’abattent sur le pont, où l’on demeure, transfiguré
la fatigue prend les yeux et la main, à l’heure de la récolte: la grâce ne ressemble à rien de ce qu’on attendait, à un peu plus de fatigue, dirait-on, s’il fallait dire
puis l’apaisement se fait, alors qu’on ignorait qu’on fût inquiet, il en est comme de l’apparition des étoiles, ordre souverain
niché dans le creux des mots, on traque la pénombre, la pesanteur, tout se noue longtemps avant qu’on en ait le désir, la peur un peu, scellée, on monte dans la barque et on accepte le courant » (2)
Texte et photos Jean-Christophe BELLEVEAUX.
(2) Jean-Christophe Belleveaux: « Territoires approximatifs », Éditions Faï fioc.