30/10/2018

Voyage en girafie avec Éric Poindron






Guillaume Apollinaire avait choisi pour devise : « J’émerveille ». Ce pourrait aussi être celle d’Eric Poindron. Placé sous le patronage d’Orphée, le poète du Bestiaire convoquait avec ravissement la carpe, l’ibis et la chèvre du Thibet. Éric Poindron fait à son tour point de mire en célébrant la girafe, animal improbable et miraculeux : « Dans son ombre, j’ai retrouvé mon grand-père et ses histoires, mon père et ses repères, le chemin des bibliothèques d’autrefois, j’ai zigzagué à ciel ouvert, j’ai folâtré sur les bas-côtés, j’ai rencontré des à-côtés. »


Éric Poindron est un conteur éblouissant. Il raffole de tout ce qui est rare, surprenant, singulier. Il aime changer d’époque et faire découvrir des personnages insolites : Ambroise Paré, le père de la chirurgie, qui classait la girafe parmi les monstres ; François Le Vaillant, explorateur et ami des oiseaux, auteur d’un Voyage dans l’intérieur de l’Afriqueen 1790, il fut le premier à décrire avec précision une girafe ; Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, l’illustre naturaliste, qui fut chargé en 1826 d’accompagner, de Marseille à Paris, la girafe que le pacha d’Egypte avait offerte à Charles X. Elle est la première girafe à fouler le sol français. Après un périple de 880 km « à pas lents »,elle est présentée au roi, « qui la salue de quelques pétales de rose, et à ses sujets qui seront 600 000 à venir la visiter la première année au jardin des Plantes, lui rendre hommage ».

Illustration de Michael Sowa.

 C’est dans le grenier familial, en compulsant un vieil almanach qu’Éric Poindron s’est intéressé à la girafe et qu’il est allé de découverte en découverte. « Etonnant phénomène que je mets sur le compte de quelque bienveillance céleste ou hasard bienveillant pour nos étranges aventures, dans mon cas celles d’un voyageur esseulé et de son scribe cloîtré. D’autres parlent de sagacité accidentelle ou de sérendipité. »

Si cet animal nous séduit toujours autant, c’est qu’il nous renvoie aux éblouissements de l’enfance. « Elle avait une tête sympathique, cette girafe, et d’emblée me plut. »

Depuis ce jour-là, Éric Poindron « pense et vit girafe » en s’égarant avec bonheur à travers les livres.

Bruno SOURDIN.



Éric Poindron: L'ombre de la girafe, voyage au long cou, Editions Bleu autour.



27/10/2018

Les fausses gravures pourries de Matthieu Messagier



Matthieu Messagier, le poète électrique, co-signataire du "Manifeste électrique aux paupières de jupes" de 1971, est aussi un plasticien très original. Il élabore des œuvres complexes, subtiles, foisonnantes, sans contraintes formelles, qui n’interdisent pas l’humour. Ainsi, il révèle la vie et l’harmonie mystérieuse des choses.

Il expose gravures et dessins à la galerie Leloutre-Lefèvre à Caen. Exposition très excitante, intitulée "Fausses gravures pourries".






« Fausses gravures pourrie et autres dessins", du 19 octobre au 30 novembre 2018, à l’Atelier-galerie Leloutre-Lefèvre (6, place Jean-Letellier, les Quatrans, 14000 Caen).
galerieleloutrelefevre.com



24/10/2018

Alexandre Romanès, le poète tsigane qui aime regarder le ciel

                                                                                                                                                                 photo Bruno Sourdin

L’écriture n’est pas une tradition tsigane. Raison de plus pour s’attacher aux livres d’Alexandre Romanès. Poèmes, aphorismes, paroles perdues... Une œuvre surprenante et unique.

Né dans une grande famille circassienne, les Bouglione, Alexandre Romanès est un authentique poète. Ses mots viennent du cœur. Il ne cherche pas à embellir les choses. Il n’aime pas les belles phrases, mais il est poète. Il va droit au but et sa parole est éblouissante.

« Je ne comprend rien au monde.
Certains se sentent plus proches
d’un chien que du ciel.
Si seulement ils voulaient
lever la tête ! »

Le monde l’a souvent blessé mais Alexandre Romanès ne craint rien ni personne. Lorsqu’il dénonce la brutalité, l’injustice et la folie du monde, ses colères sont terribles. Mais son œil reste intact : il vit sous le ciel et il sait regarder le ciel.

« Depuis longtemps déjà
je vois des choses terribles.
Des fois, pour comprendre,
je prends ma tête à deux mains.
Malgré tout, chaque matin,
je redécouvre le ciel. »

Que faut-il pour remplir une vie ? La route, le vent, les étoiles suffisent.

« Les parleurs accusent Dieu,
pourtant, pas une feuille
ne manque à l’arbre,
rien n’égale un coucher de soleil
et on a tous un cœur. »


Au Marché de la poésie 2017 à Paris (photo Bruno Sourdin).

Alexandre Romanès déteste le mensonge et l’arrogance. Il ne comprend pas comment fonctionne notre monde. Il ne comprend pas l’ambition. Partout il ne voit qu’indifférence, des gens sans vie, des passants aux cœurs de pierre… Lui aime poser la main sur tout ce qui est beau, il aime rire avec ses filles, regarder les nuages passer… A tout l’or du monde, il préfère la brindille sur le bord du chemin. Et il n’oublie jamais de chanter les splendeurs de la vie :
« ma vie magnifique, comme l’oiseau
qui vole contre le vent,
les yeux fixés sur le ciel. »

La parole d’Alexandre Romanès est extrêmement simple et forte. Elle va droit au cœur, elle nous fait du bien. C’est la voix essentielle d’un poète authentique.

Bruno SOURDIN.

Un peuple de promeneurs, Le Temps qu’il fait, 1998.
Paroles perdues, Gallimard, 2004.
Sur l’épaule de l’ange, Gallimard, 2010.
Le luth noir, Editions Lettres vives, 2017.




Les Tsiganes sont comme les oiseaux
qui volent contre le vent.

*
Hier j’ai vu une femme avec son enfant
couchée sur le trottoir, elle ressemblait
à ma mère, comment ne pas m’arrêter.

Quand j’étais petit,
mon père a mis pendant des mois
un serpent dans ma chambre,
il voulait que je n’aie peur de rien.

*
Je fais bonne figure, je ne montre rien
mais certains jours, j’ai l’impression
d’avoir bu toute la tristesse du monde !

*
Avec toi, j’aimerais me promener
le plus longtemps possible
dans la campagne, entendre
la magnifique sonorité du luth
et le chant délicat des oiseaux,
et passer autant que possible
pour un imbécile.
Qu’ils m’oublient.
*
J’appartiens à un peuple
qui ne veut pas 
laisser de traces.


(extraits de Le luth noir, 2017, aux Editions Lettres Vives)





En 1993, avec son épouse Délia,
il fonde le Cirque Romanès,
premier cirque tzigane d’Europe,
avec un petit chapiteau de 300 places,
installé à la Porte Maillot à Paris.