Musicien de tradition, Jean-Emile Collon a réalisé ses premiers collages en 1968, dans une veine héritée des surréalistes, en rapprochant des réalités plus ou moins éloignées. Il a bien connu Salvador Dali et l’admirait beaucoup. « Je suis allé chez lui à Port Lligat tous les étés pendant huit ans. » La première rencontre est étonnante. « J’ai sonné à la porte un soir à 19 h et j’ai tout simplement dit : Je suis Jean-Emile, de Cherbourg… » « Vous vous appellerez Jean-François ! », a aussitôt répondu l’extravagant Catalan en lui ouvrant la porte. Jean-François, comme Millet, son peintre fétiche. « Jusqu’à la fin, il m’a toujours appelé Jean-François. Dans l’intimité, lorsqu’il n’y avait plus de photographe, Dali souriait comme un enfant. Je n’ai jamais trouvé des gens aussi simples et gentils, mais lorsqu’elle était en colère, Gala pouvait être terrible ! Je les ai connus à une époque où c’était encore la joie. »
Passons les années. Pour Jean-Emile, la grande rupture va se produire en 1987. À cette époque, lui et sa femme vivaient à Quinéville, dans une maison-terrasse de bord de mer, qui avait été construite par des Italiens. Le 19 octobre, un ouragan est venu tout dévaster. « Tout a été aspiré par la tornade. On s’est retrouvés à la rue, sans maison. D’un seul coup, j’avais perdu tout le contenu de mon atelier. On a été obligés de fuir à Valognes. J’ai toujours eu l’impression que c’était le signe qu’il fallait que je m’en aille. Nos deux jumelles sont nées trois mois plus tard. »
Le drame de la tempête a tout bouleversé. Mais Jean-Emile se remet aussitôt au travail et commence à s’aventurer sur de nouvelles routes. « Tout de suite, les premiers collages ont été très sereins, très épurés. » En pleine résurrection, il vient de trouver sa formule magique, qui n’est pas sans lien avec les flamboiements de l’art psychédélique. Comme un pianiste qui caresse les touches de son clavier, il se met à créer des pièces subtiles et raffinées, aux sonorités abstraites. Technicien hors pair, il compose désormais des sortes de kaléidoscopes, dans lesquels les motifs s’enchevêtrent et se multiplient à l’infini, dans une grande variété de rythmes. Un monde de bulles colorées qui viennent lentement éclater à la surface. Un univers qui palpite en toute liberté dans un rêve somnambulique. Les timbres fusionnent. Tout vibre. Tout s’illumine. Tout rayonne.
Avec des petits ciseaux de couturière, Jean-Emile Collon découpe des milliers d’éléments qu’il va chercher dans des revues qu’il a parfois ramassées dans les poubelles. Des papiers souvent très pauvres, aux couleurs saturées. Les petits bouts découpés sont collés entre eux, jamais directement sur le carton qui leur sert de support. « Je colle en dessous. Et j’ai une deuxième technique : je colle la partie que je veux montrer sur une feuille rhodoïde. Je fais le collage à l’envers. La colle attaque la couleur. J’aime bien ce processus de vieillissement. »
Voici pour la technique. Mais l’essentiel est ailleurs, car tout se joue dans le traitement de l’imprévisible. Une tension s’installe. Des accords paisibles et mystérieux se forment. Jean-Emile égrène ses notes dans un jeu complexe de répétitions et de changements imperceptibles. Jusqu’à atteindre une plénitude apaisante et syncopée. « Composer un collage me met dans le même état que lorsque j’improvise au piano. »
L’improvisation joue en effet un rôle fondamental dans son travail. Au gré de l’inspiration, un système de résonances s’installe, mais il ne sait jamais comment le collage va se terminer. Tantôt des motifs s’élancent, bougent et se transforment, comme dans un langoureux vertige. Tantôt l’énergie se concentre en un point subtil, d’où se dégage une émotion prenante. Pulsations de la nuit. L’ange de l’illusion aux ailes invisibles s’est allumé. Jean-Emile le regarde étinceler. Il a trouvé la bonne vitesse. Au rythme de la lumière galopante.
Bruno Sourdin
Joël Hubaut, J.-F. Rocking Yaset, Jean-Emile Collon et Bruno Sourdin lors du vernissage d'une exposition de collages de Jean-Emile à Cherbourg en 2011. |
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