18/07/2019

Oasis secrètes de trois artistes coréens en Normandie


                                                                                                                                                              Photo Ouest-France





Artistes coréens à Coutances…
L’artiste et galeriste Jeong Nack-Suck est venu à Coutances pour y faire vivre un centre d’art contemporain, le Pont des arts. Parmi les artistes coréens qu’il a invités, une femme à l’inspiration singulière, Kim Seoung Hee. 

Kim Seoung Hee



Son exposition s’intitule OasisElle évoque  l’histoire des origines, la découverte d’une source d’eau dans le désert, les cactus qui commencent à sortir de terre et à fleurir. Une oasis qui apparait au milieu du désert, la vie qui s’ébauche et s’épanouit, éphémère. Car tout se transforme. Ce monde est en perpétuel changement. C’est ainsi, juste ainsi.


Jeong Nack-Suck, quant à lui, explore la mémoire du temps. Le temps ne s’arrête jamais.  Même si nous nous y accrochons, avec nos corps et nos pensées, aussi lourds que des rochers. « Nous n’avons pas assez de poids pour arrêter le temps, ne serait-ce qu’une seconde. » C’est ainsi, juste ainsi.

Jeong Nack-Suck.                                                       Photo Ouest-France




… et  à l’Usine Utopik
A 30 km de là, dans le bocage normand, à Tessy-sur-Vire, l’Usine Utopik, reçoit également des artistes de Corée du Sud. Grâce à un partenariat avec la With Artist Foundation de Séoul. C’est ainsi que Kim Seung Young vient d’achever une résidence de 6 mois au bord de la Vire.

Kim Seung Young est un passant. Où qu’il passe, l’artiste s’émerveille. Comme lorsqu’il était enfant et qu’il jouait avec ses amis sur un tas de sable.« Le jeu consistait à mettre une baguette en bois au milieu de ce tas et de creuser le sable en évitant de faire tomber la baguette en bois, celui qui faisait tomber la baguette perdait la partie. Aujourd’hui je suis devenu un artiste. La baguette est devenue un pinceau et mon travail est dirigé vers le monde. »


 Dans la grande salle d’exposition, il a placé des boussoles aux quatre points cardinaux pour laisser sa trace, sa présence. Au coeur de cette salle, il a aménagé un espace, protégé par des plantes vertes, qu’il a dédié à la méditation. Sur une table basse, il a posé un pot de fleurs, une boussole, un sablier et un jouet dansant. « Afin de passer une précieuse journée il nous faudrait regarder la mort en face dans tous ces symboles et puis se laisser aller, le temps d’une danse. » 

La table des vanités.

Je me suis assis dans son jardin secret, au milieu de ses installations éphémères,  près de cette grande nappe de papier qu’il a froissée et dépliée.  Je me suis assis et j’ai contemplé sa table des vanités,  la boussole qui s’affole, les coquillages et le grand sablier. 
Je me suis assis et on m'a photographié.
Que me reste-t-il à vivre ? Vanité. 
La boussole est juste une boussole, le coquillage juste un coquillage, le sablier juste un sablier. C’est ainsi, juste ainsi. 

Bruno Sourdin.

Juillet 2019




02/07/2019

"New Poems & Sketches": l'écriture sauvage et fragile de Claude Pélieu






C’est un cri, une exaspération, un hurlement, une vocifération
de colère, un mixage de cruauté, de violence et d’effroi. Et de
désespoir. « Le ciel vide,/ immensément triste/ la mort tapie
dans les brumes ». Des êtres infects pullulent dans les rues
grises, « balayées par un vent de boucherie ». La mort
patrouille dans les zones lépreuses de l’univers. Plus question
de rêver. La peur domine et ce monde chavire comme un
chaos. Partout, on ne voit que des robots et des criminels. Big
Brother a pris le pouvoir et ne le rendra pas. « Les forces du
mal célèbrent l’avènement du malheur & de la terreur. » C’est le
temps dévasté.


Claude Pélieu enregistre les images de ce monde brisé et sa
souffrance est immense. Que faire dans cette vallée de
larmes ? Nous sommes tellement désemparés. « Les âmes
quittent les corps,/ nous sommes seuls,/ terriblement seuls. »

En 1985, Claude Pélieu avait remis à Alain Brissiaud un
manuscrit intitulé New Poems & Sketches. Il s’agissait d’un note-
book, un carnet de notes de cent trente pages, rédigé aux
crayons feutre de couleurs. « Ces couleurs, précise-t-il, varient
à chaque strophe, passant du rouge, au vert, au bleu… etc . »
Le manuscrit est daté de 1976-1977 et a été écrit en
Angleterre. On retrouve plusieurs de ces poèmes, « mais
jamais intégralement », dans le recueil Dust Bowl Motel Poem
de 1977. 

Indigo Express, publié par Alain Brissiaud en 1986.
En 1986, Alain Brissiaud avait publié Indigo Express
(aux éditions Le Monde à venir), un merveilleux petit livre, très
zen, dans lequel le traducteur et compagnon de route de la
Beat Generation laissait transparaître son admiration pour Li Po
et les poètes chinois de la dynastie de T’ang, mais aussi pour
Bashô, Issa et les grand maîtres du haïku. 
Ah, posséder
l’attention du poète japonais !



Cette double direction  cut-up et cauchemar urbain, apaisement et volonté de vivre à l’écart – se retrouve dans le note-book de 1977 qu’Alain Brissiaud a eu la bonne idée de publier aujourd’hui aux éditions Books Factory, avec une formidable mise en page de Jean-Jacques Tachdjian , un grand graphiste. Ecriture sauvage et éclatée, écriture de la
transe et de l’extrême d’un côté, fragilité et compassion de l’autre. Pélieu ne craint pas le paradoxe : lorsqu’il écoute et regarde les choses au plus profond, tout devient soudain magnifique : « Nous sommes/ sur la plus extraordinaire/ planète. Nuages immobiles/ au-dessus du paysage/ de lumière, au bord/ du vide – et de la tiédeur/ de la nuit – le chant/ des
cigales & des grillons/ se mêlent aux lueurs/ bleues & rouges/ par dessus le Temps ».

Claude Pélieu a toujours mené une vie de rupture, une vie d’exilé, douloureuse, extrêmement douloureuse. Comme Rimbaud, il mourra sur un lit d’hôpital, amputé d’une jambe. Comme Rimbaud aussi, il pensait que les poètes devaient dynamiter le monde pour le réenchanter. « Les poètes, écrivait-il, devancent/ les grands bouleversements,/ à tâtons, par
hasard. » Le hasard était en effet sa bonne étoile. C’était un élément essentiel dans la construction de son œuvre. « La poésie n’est pas un secret,/ elle vit partout/ et jaillit d’on ne sait où ».

Dès 1977, on voit que sa démarche était pleine de paradoxes. Tantôt c’est un vent de violence et de destruction, les images du poète se fracassent et explosent, « les hommes font pleurer les anges ». Tantôt c’est une plongée dans l’inconnu, un appel à l’absolu. « Dieu, ça doit être/ comme la foudre/ immense, inexplicable,/ indispensable. »

La vie de Claude Pélieu a été un immense collage. Mille milliards de collages.

Bruno Sourdin


New Poems & Sketches, Claude Pélieu, postface Alain Brissiaud, maquette et illustrations Jean-Jacques Tachdjian. Editions Books Factory, 2016.
 Un livre à lire en écoutant Monk’s dream, de Thelonius Monk.
« Monk, ma bonne étoile », avait l’habitude de dire Claude Pélieu.


Article publié dans Diérèse n° 71.
http://diereseetlesdeux-siciles.hautetfort.com