14/11/2019

Le voyage-haïku de Kenneth White


Kenneth White à Trébeurden, dans les Côtes-d'Armor, dans sa maison, qu'il a appelée Gwenved, "Le Blanc pays".
                                                                                                                                                                    Photo Ouest-France



Le chemin du Japon profond 
Avec Kenneth White, la littérature ne sent jamais le renfermé. Après ses errances dans la Chine du Visage du vent d’Est, il avait consacré au Japon, il y a près de 30 ans, un « récit rêveur de route et d’îles », qui est un véritable chef-d’œuvre. 

Ce pèlerinage vers des lieux lointains est aussi un hommage à Matsuo Basho, le grand poète du XVIIe siècle, maître du haïku. Au cours de son voyage, le poète écossais cherche à s’immerger « dans l’énergie et le rythme et la lumière ». Un voyage méditatif, sans but, avec le sens de la beauté éphémère.

Selon Kenneth White, pour connaître le vrai bonheur, il faut voyager dans un pays lointain « et même hors de soi-même ». Le Japon est, à cet égard, le pays idéal,  une « pays de l’esprit », particulièrement stimulant si l’on prend Basho pour guide, ce vieux maître incomparable, « homme du vent et des nuages ».

Prenant Tokyo comme point de départ, Kenneth White se dirige vers le Nord, pour atteindre Hokkaïdo et voir les cygnes sauvages venus de Sibérie s’abattre « avec leurs cris d’outre-mer » sur les lacs du Nord où ils viennent hiverner.

Comme Basho dans La sente étroite du bout du monde, son grand journal de voyage, Kenneth White est à la recherche de quelque chose d’autre qu’un simple carnet de route. Il ne veut pas seulement couvrir des kilomètres, mais « ouvrir un espace pour l’esprit », ouvrir une voie. Son idéal est le voyage zen, le voyage-haïku, qui consiste à « se laisser aller avec les feuilles et le vent ».

Arrivé à l’extrême nord du Japon et au terme de ses extraordinaires pérégrinations, White voit enfin ses cygnes sauvages. « Longtemps avant l’aube, j’étais aux aguets parmi les roseaux du lac, dans le marais jusqu’aux genoux à un certain moment, attendant le lever du jour. » Lorsque les oiseaux se réveillent, s’envolent et tournent « dans l’air vif et clair », le voyage touche à sa fin. « Soudain le vide fut rempli de clameurs et de battements d’ailes. » Les cygnes sauvages arrivent en groupe de cinq à dix. Kenneth White peut alors écrire son haïku :
« Sur le lac vide
ce matin du monde
les cygnes sauvages ».



Les images du monde flottant
A relire, en parallèle, un essai magistral de Kenneth White sur le grand peintre Hokusaï. Le poète écossais s’immerge dans le brouhaha de la vie courante, dans ce que les Japonais nomment « le monde flottant » pour brosser le portrait d’un « vieil homme fou de peinture »,qu’Edmond de Goncourt considérait à juste titre comme « un des artistes les plus originaux de la terre ». Et, avec Hokusaï, nous ne nous éloignons pas de Basho : ce sont les mêmes scènes de vide et de vent, « des scènes où se dégage, par la ligne et la couleur, une poésie puissante, une poétique du monde ouvert ». Hokusaï ou l’amoureux de l’horizon sensible.
« Un esprit libre
planant
au-desus des plaines de l’été ».

Bruno SOURDIN.


Kenneth White : "Les cygnes sauvages », Grasset, 1990 ;  et « Hokusaï », éditions Terrain vague, 1990.

Kenneth White a consacré de très belles pages à la Bretagne blanche, où il s'est établi. Il aime aussi aller explorer en profondeur des pays lointains, comme le Japon de Basho et Hokusaï.                                          Photo Ouest-France)                                                                                   










Ce mois-ci, des cygnes sauvages sont arrivés par bandes et en grand nombre dans la réserve naturelle du lac Héron à Villeneuve-d'Asq, dans les Hauts-de-France. Un événement qui permet d'imaginer ce qu'a pu observer Kenneth White sur l'île d'Hokaido.au Japon.                                                                                                              (Photos Francine Manhaeve)