02/02/2023

Paroles maories du Grand Nuage Blanc


Manuel Van Thienen est traducteur. Passionné par la littérature des peuples indigènes de tous les continents, il veut donner une voix en français à ceux qui ont été bafoués - et qui continuent de l’être - par les colonisateurs européens. La traduction est son combat et, pour ses lecteurs, son travail est un choc énorme.

 

Manuel Van Thienen.

En 1988, il a fondé une association qu’il a appellée « Sur le dos de la tortue ». Pendant 10 ans, il se consacre à la publication d’une revue qui explore les territoires littéraires des Amérindiens, Aborigènes, Papous et Maoris, « tous victimes de la loi du plus fort ». 28 numéros sont sortis.

 

En 2017, il sort une Anthologie de la poésie amérindienne (1) : 127 auteurs contemporains des États-Unis et du Canada, choisis et traduits par ses soins. Formidable livre, à la fois enthousiasmant et douloureux, qui révélait les paroles de peuples vivants et dynamiques, loin du cliché du bon sauvage en voie de disparition.

 

Et, cette année, il nous entraîne à Aotearoa, le nom maori de la Nouvelle-Zélande, qui signifie littéralement « La Grand Nuage Blanc ». Avec Sonia Pratti, ils ont traduit 70 auteurs contemporains traitant, dans leurs poèmes, « des luttes incessantes contre l’envahisseur européen » et qui entendent bien maintenir leurs traditions. « Les cultures autochtones, souligne Manuel Van Thienen, sont laminés par la religion du plus fort, le monothéisme, grand pourfendeur des animismes et autres croyances faisant la part belle au respect de la nature. »

 

« Nous sommes la vase

nous sommes la tache de rouille

rincés

lessivés

trop insignifiants pour qu’on s’en souvienne

 

sans voix, sans visage

nous sommes les laissés pour compte »

(Phil Kawana)

 


Pour le monde des colonisateurs, il n’y a qu’une chose qui compte : faire du profit, piller les ressources, raser les forêts, si c’est un moyen de gagner de l’argent, « ce dieu aveugle de l’Occident ». Le fait que des hommes vivent dans cette nature magnifique depuis des milliers d’années n’a aucune importance pour eux.

 

« Vous avez volé nos territoires

vous ne pouvez pas régir nos âmes

l’européanisation est notre ennemi mortel

Nous la défions et nous y opposons »

(Saana Murray)




Pour Manuel Van Thienen, les peuples premiers sont l’avenir de l’humanité : 

« Quand la civilisation occidentale sera effondrée, pense-t-il, ce seront ces peuples du futur qui permettront à l’espèce humaine de reconstruire le monde. »

 

« Donne-nous les arts précieux de nos ancêtres, 

les sculptures, les dessins et les motifs, les histoires

et les chants traditionnels

Permet à ceux de cette génération d’essayer

de les combiner avec les talents

que nous avons dans le monde changeant d’aujourd’hui

Donne-nous ton plus grand cadeau, aroha (l’amour),

dans toutes ses acceptions 

Il apportera la paix, la bonne volonté, l’amitié parmi les peuples

et nous sortira du monde des ténèbres et de l’ignorance

pour nous faire entrer

dans la lumière de la connaissance et de la compréhension. »

(Wiremu Kingi Kerekere)

 


Cette anthologie, Manuel l’a dédiée à sa fille Maëlle Van Thienen, qui a décidé de s’installer dans l’île du Nord d’Aotearoa et d’y fonder une famille.

 

Bruno SOURDIN.

 


(1)  Editions Maison de la poésie Rhône Alpes/Le Temps des Cerises.

 


 Aotearoa, anthologie de la poésie maori contemporaine, Editions de la Tortue (Sur le Dos de la Tortue, 590 chemin du Sert, Le Sert, 07520 Lafarre.

http://surledosdelatortue.free.fr

 







***

 



Quatre poètes maoris

 

Arapeira Hineira Blank

 

Le temps du rêve

 

Quand tu te sens

l’âme pesante

le ventre noué

le cœur lourd,

cherche les bras de quelqu’un,

et si personne ne vient,

regarde en toi

 

respire calmement,

écoute la musique

du silence,

étend-toi immobile, flotte

sur un velours noir

jusqu’à ce que ton corps

baigne dans le calme,

déroule lentement ton rêve apaisant.

 

Imagine que tu vins

en ce monde

sur un nuage de soie fine

rouge-orangé, chatoyant

avec l’aurore, flottant

vers une terre humide de rosée,

qui se réchauffe avec toi

emplit son peuple d’espoir

pour la paix spirituelle,

maintenant

et pour toujours.

 

Le soleil se lève

le soleil se couche 

Le soleil se lève.

 

He ra ka whiti

he ra ka to

He ra ka whiti.

 

 

*

 

Apirana Taylor

 

Haka

 

Quand j’entends le haka

je le ressens dans mes os

et dans mon wairua (âme)

l’appel de mes tipuna (ancêtres)

flashe comme un éclair

le long de mon échine

me fait rouler les yeux

et claquer la langue

c’est la danse

de la terre et du ciel

du soleil levant

et du séisme

c’est le premier souffle de vie

eeeee aaa ha haaaa

 

 

*

 

Abigail McClutchie

 

Va dans les montagnes

 

Va dans les montagnes

ainsi tu sera purifié

par les vents de Tawhirimatea (dieu des vents)

et tu seras libre.

 

Va à l’océan

ainsi tu ressentiras la paix

du chant de Hinemoana (déesse de la mer)

et tu sera inspiré.

 

Va dans la ngahere (forêt)

ainsi tu sera revitalisé

par l’énergie de Tane Mahuta (dieu de la forêt)

et tu sera transformé.

 

Va vers la source intérieure

ainsi tu pourras entendre le pouvoir

et l’essence intérieure

et tu seras illuminé

 

car je suis la Puissance divine en toi

TE AO MARAMA (le monde de la lumière).

 

 

*

 

Paula Kora

 

Te aute te whawhea

(quand règne la paix, même l’écorce fine n’est pas perturbée par le vent)

 

C’était en ce temps du rêve

non plus la nuit mais pas l’aube encore

les mers immobiles et les vents

attendant de naître

des lèvres des dieux célestes

 

C’était en ce temps du rêve

que je sentis ses mains toucher mes cheveux

et son doux baiser

mouiller mon front tourmenté

de ces doigts experts

elle massa ma tête

avec une tendresse

que je ne peux décrire que comme de l’amour

Et je laissai la vague

de son esprit flottant

déferler sur les douleurs tenaces

dans mon corps

 

TE AUTE TE WHAWHEA

 

me murmura-t-elle

dans ce temps du rêve

alors que ce n’était plus la nuit

mais pas l’aube encore

 

(Traduit de l’anglais et du maori par Manuel Van Thienen et Sonia Protti)