Jean-Claude Touzeil. (photo Yvon Kervinio)
Jean-Claude Touzeil est le fondateur du « Printemps de Durcet », une grande fête de la poésie qui se tient chaque année, depuis 36 ans, dans cette petite commune rurale de l’Orne.
Durcet a obtenu le label officiel « Un village en poésie » et, pour ses 300 habitants, c’est une grande fierté: « Le Printemps de Durcet, le Chemin des poètes, le Salon du livre de la poésie: qui aurait pu imaginer un truc pareil en pleine campagne dans le bocage normand? On se rend compte qu’il y a ici une forte proximité avec la poésie, dit-on ici. Les habitants sont des ruraux, des gens souvent modestes, qui aiment la vie à la campagne. ils aiment la nature et l’observation du quotidien. »
Guy Allix, un habitué du "Village en poésie". |
« Durcet… cela relève du miracle, constate de son côté le poète Patrick Joquel, qui vient chaque année des Alpes Maritimes pour retrouver, un week-end d’avril, ses amis normands. Réussir à concentrer autant de poètes (et d’éditeurs, d’artistes) dans un si petit village… chapeau! Et quand, en plus, le public vient les écouter, parler, acheter… alors là, moi j’en reste pantois. Le secret: sans doute l’amitié des habitants du village, leur volonté et leur sens de l’accueil. Durcet: rare! et précieux. »
Cette année, le « Printemps de Durcet » a dédié son « Chemin des poètes » à son fondateur : seize poèmes de Jean-Claude Touzeil ont été semés tout au long des chemins du village.
Jean-Claude est né d’un père normand et d’une mère slovaque. Pendant la guerre, Gita, sa mère, avait traversé l’Europe « en pleine débâcle à bord de trains hasardeux » pour rejoindre son homme qui vivait dans un petit village de la Manche, au pays des marais de Carentan, dans la Manche. Elle ne savait que trois mots de français, « seulement des mots d’amour, alors que tout le monde parlait patois… ». Gita a quitté les siens un après-midi de fête à Durcet, au moment où les invités de son fils célébraient le printemps de la poésie. Dans Petits cailloux pour Gita (1), Jean-Claude se souvient:
« Dans les débuts
du « Printemps de Durcet »,
c’était plutôt familial.
Avant le spectacle,
les artistes et les poètes
venaient manger à la maison.
Moments d’autant plus
rares et précieux
que Maman était aux fourneaux…
Très à l’aise avec tout le monde,
plaisantant avec l’un ou l’autre,
heureuse de pouvoir
donner un coup de main.
Et sa « paupiette du poète »
faisait l’unanimité! »
Pour dire adieu à sa mère, Jean-Claude Touzeil a rassemblé avec ferveur des « petits cailloux » qui disent, avec ferveur et émotion, la grandeur d’une vie simple et limpide, une vie de courage, d’énergie et d’éclats de rire. « Elle forçait le respect, l’étrangère ».
Aujourd’hui, le printemps est revenu et, dans le ciel de Durcet, « les nuages continuent à courir, on se demande pourquoi ».
Jean-Claude Touzeil, Chemin des poètes 2022. |
Jardinier des mots, Jean-Claude Touzeil a planté des arbres un peu partout, il milite pour une poésie simple, concise et vivante. Peuples d’arbres (2) est son livre magique, plusieurs fois réédité.
« Derrière les arbres
le poids des jours
sur les épaules
la foi la patience
de la goutte d’eau
Derrière les arbres
l’obstination de l’insecte
le courage des fourmis,
la joie des écureuils
grignotant le soleil
Derrière les arbres
la sagesse des hiboux
et la fraternité
des hirondelles
Derrière les arbres
le silence des loups
Les hommes toujours ».
Dans Poirier proche (3), Jean-Claude Touzeil rend hommage à l’arbre magnifique qui s’offre à son regard lorsqu’il ouvre sa fenêtre et qui, dans son village, est son plus proche voisin. Ce poirier est un arbre excentrique et formidable: il rêve, il joue de l’accordéon, il fait le clown, il jongle avec les étoiles, et par-dessus tout il parle (il est même bavard!):
« Je plonge mes racines
à des profondeurs
que vous n’imaginez
même pas
Je fonce à l’aventure
des terres inconnues
du côté des ancêtres
et sous le tumulus
j’écris à ma façon
des poèmes ».
Jardinier dans l’âme, Jean-Claude Touzeil a consacré aux Jardins du bout du monde (4) un vibrant et très amusant plaidoyer. Les plantes du poète font rêver:
« Des gypsophiles,
des nivelles et des abutilons,
des abysses et des crapaudines ».
Et son jardin n’est pas triste: les éléphants désherbent, les cornichons jouent à cace-cache avec le jardinier, les légumes poussent la chansonnette, l’escargot a tout son temps. Poésie qui dépasse la mesure et que l’on croque à belles dents. Poésie que l’on effeuille un peu, beaucoup, passionnément, à la folie…
Patrick Joquel |
Yves Barré |
Yves Artufel |
Dans Café vert tzigane (5), le poète amoureux des arbres et des chemins de traverse dialogue avec le peintre Matt Mahlen, en pensant aux Tziganes de son enfance, êtres magnifiques habillés de velours vert. Ses poèmes disent le voyage et le plaisir de l’errance, mais aussi les noces de la terre avec le soleil, de l’eau avec le vent, ce vent qui va où il veut - « Ce voyou de vent/ a glissé des accents de violon tzigane » - et qui répand çà et là « des ferments de poésie ». Il y a dans ce beau recueil quelque chose d’inestimable, l’autre côté du miroir, ce parfum d’enfance qu’aide les hommes à se maintenir. Un hommage vibrant à la liberté et à la vie.
Jean-Claude Touzeil pense que la poésie est une petite bougie qui éclaire très fort. Sept dialogues d’ailleurs et d’ici (6) a été écrit avec son ami Patrick Joquel. Les deux poètes ont eu l’idée de s’envoyer des vers par la poste, d’y répondre, d’entamer un vrai dialogue, sans pour autant se prendre la tête. Extrait du premier dialogue, sous forme de haïkus.
Joquel:
« Ici la terre est plate
Et sous le soleil tête
Le chant des oiseaux ».
Touzeil:
« Vers le soleil rouge
Trois oiseaux à fond la caisse
Sans doute une urgence ».
Dans ce beau petit livre illustré par Yves Barré, il y a aussi des dialogues de sourds, des dialogues de fous, des anagrammes, des exercices de style, des clips d’oeil à Queneau, à Prévert, à Desnos… Poèmes sans gravité. Poèmes du plaisir partagé.
Dans Est-ce que (7), les questions qu’il se pose peuvent être vraiment drôles, voire étranges (« Est-ce que dans une vie antérieure, les bouleaux n’étaient pas des zèbres? »). L’humour, la cocasserie, l’insolite sont indiscutablement ses armes poétiques favorites. Ce qui ne l’empêche pas non plus de poser quelques belles questions pertinentes, comme celle-ci: « Est-ce qu’il suffit d’un chant d’oiseau pour oublier la cage? »
Chez Jean-Claude Touzeil, la poésie n’engendre jamais la mélancolie. Il écrit pour le plaisir de l’écriture, et cela se sent immédiatement: plaisir de se frotter aux mots, plaisir de jouer avec les assonances, plaisir de faire naître des images inattendues, des images que l’on gouverne et d’autres qui vous échappent… Avec lui, on entre de plein pied dans le royaume de la joie vive, de la fantaisie et de la trouvaille. Une poésie humaine et tendre. Quelle jubilation!
Bruno SOURDIN.
- Petits cailloux pour Gita, L’Écho optique, 2007.
- Peuples d’arbres, éditions Donner à Voir, 1997.
- Poirier proche, éditions Le Chat qui tousse, 2004.
- Jardins du bout du monde, éditions Corps Puce, 2006.
- Café vert tzigane, éditions Gros Textes, 2009.
- Sept dialogues d’ailleurs et d’ici, L’Épi de seigle, 2003.
- Est-ce que, éditions Donner à voir, illustrations Yves Barré, 1999.
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