François Simon sur les quais de Cherbourg, dans la presqu'île aux trésors. Photo Ouest-France |
Nous attendions avec impatience que François Simon raconte son Cotentin. Personne mieux que lui n’a écrit sur ce pays du bout du monde, « ce pays amphibie, boulevard des coups de chien, presqu’île aux trésors ». Le livre vient de sortir et il est merveilleux. « Tout est sorti d’un jet, comme lorsque l’on marche sur un tube de dentifrice non rebouché. »
Né natif du nord de la Manche, François Simon est revenu vivre dans la presqu’île après une riche carrière de grand reporter au journal Ouest-France. Son livre est intitulé L’âme du Cotentin. L’âme? Oui, mais, comme son auteur aime les facéties, la couverture nous montre un « âne », un âne gris du Cotentin que les gens d’ici appellent « un quéton ».
Le quéton et les 57 dessins qui illustrent l’ouvrage sont signés par Yann-Armel Huel, lui aussi journaliste à Ouest-France, qui fit ses débuts dans la Manche et vit aujourd’hui à Rennes « avec un bout de coeur resté pour toujours dans le Cotentin ». On le comprend.
Avec L’âme du Cotentin, François Simon nous fait entrer dans un continent insoupçonné, qu’il raconte avec une grande humanité. Ce livre touchant, intime, résonne longtemps en nous.
Jacques Prévert était tombé amoureux du cap de la Hague dans les années 30. Il aimait y séjourner, il avait ses habitudes: « la chambre 7 de l’Erguillère surplombant Port-Racine », quand il cherchait une maison « dans le Finistère le plus proche de Paris ». Le Cotentin fut donc son dernier refuge. A 70 ans, il acquit une maison dans le village du Val, à Omonville-la-Petite. Il repose désormais dans le cimetière communal aux côtés de son ami et complice Alexandre Trauner, le grand décorateur de cinéma.
Jacques Prévert adorait ce petit bout de terre qui s’enfonce dans l’océan. Amoureux des mots, il affectionnait les facéties, les bizarreries et … les inventaires. Quoi de mieux qu'un inventaire, en effet, pour saluer cet asile de paix. Un inventaire sans raton laveur mais avec quelques quétons, tendres, malins et ricaneurs. Car le quéton, comme l’écrit François,« c’est un typique de chez nous ».
Bi l’boujou, mister Simon!
L’âme du Cotentin, un inventaire
(pour François Simon)
Une averse
deux goélands
trois soudeurs
quatre parapluies
une rade
des sous-marins
un quéton
douze sortes de pluies un empereur une améthyste
un bar à matelots
une gueule d’atmosphère
six écaillers
un mouton à tête noire
une femme qui valse
un autre quéton
un rêveur d’escales
une tête de cheval dorée
deux coiffes de mariage
un angélus
cinquante nuances de gris
une vache
un taureau
deux châteaux de sable trois huttes à biches quatre pompons rouges
un tigre d’écume
une notre bleue
une frégate sous voile
un vent inépuisable
et…
cinq ou six quétons
une digue de dingues
un souverain décoiffé
une tempête
un blockhaus douze patrouilleurs une station-service
un troupeau de cotentines
un pont tournant deux cocus du port trois shadocks quatre horsains
un taiseux mille migrants et beaucoup de poumons brûlés
un cheval qui trotte
un bout du monde deux traits de chalut, trois cafés calva
un manchot
l’usine Port Racine la chambre 7 de l’Erguillère
et…
plusieurs quétons
Bruno SOURDIN.
L’âme du Cotentin, par François Simon, Orep éditions, 2022.
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