Madeleine Dinès et le poète Jean Follain se sont mariés en 1934. Ils ont vécu à Paris, séparément, chacun dans son appartement, jusque dans les années 1950. Tous les deux étaient convaincus de leur vocation artistique et ils avaient besoin de silence pour créer. Madeleine était une femme moderne.
Elle était la fille de Maurice Denis, le célèbre peintre du groupe des Nabis, et voulut logiquement embrasser une carrière de peintre. A l’heure de l’abstraction, elle a fait le choix d’une peinture réaliste, une peinture de la vie quotidienne. Ainsi, a-t-elle peint des natures mortes, des paysages, des portraits, avec une sensibilité proche de celle de Follain. Ils n’ont jamais travaillé ensemble mais tous les deux ont créé des oeuvres simples, précises, silencieuses, peuplées d’objets et de fragments du réel. Deux écoles du regard, liées à l’innocence et la beauté du monde.
Mais l’angoisse de la vie et du temps qui passe n’est jamais totalement absente des peintures de Madeleine Dinès. Les difficultés financières assombriront toute sa vie. Il fallait bien vivre, elle fut tour à tour traductrice, professeure et tint plus tard un restaurant à Paris, dans le Quartier latin… En 1926, elle écrivait déjà:
« J’ai en tête un grand tableau sur la tristesse qui se dégage des plaisirs faux de ce monde. Je vois un grand personnage sombre au premier plan: la tristesse. Cela m’enchante mais il me manque des documents, de l’argent pour acheter la toile et enfin du temps pour exécuter. »
Ce grand tableau n’a jamais été réalisé.
Le musée de Saint-Lô, qui possède déjà un intéressant fonds Follain, consacre une rétrospective, la première, à cette artiste indépendante. Une exposition qui éclaire également de façon émouvante l’œuvre du grand poète que fut Jean Follain, né dans le village tout proche de Canisy et grande voix secrète de la poésie du XXe siècle. Une femme singulière. Un couple singulier.
« Madeleine Dinès, en toute intimité », au musée d’art et d’histoire de Saint-Lô, jusqu’au5 décembre 2021.
1934, Madeleine Dinès et Jean Follain se marient. |
Jean Follain: la poétique de l’infime
Jean Follain était obsédé par la fuite du temps et l’absence d’éternité, observait très justement Eugène Guillevic. Les deux poètes avaient l’un pour l’autre une amitié très profonde. Voici ce que dit, dans un entretien de 1991 avec Michel Sicard, le «très Breton » sur le « très Normand »:
« J’admirais cette poésie de l’épopée qu’est la vie quotidienne, ce qu’elle peut recouvrir de grandeur, de tragique, de noble… Ce qui est très net dans la poésie de Follain, c’est le caractère sacré de tous les gestes quotidiens: verser du lait, essuyer une assiette, prend un caractère noble et sacré. Il m’a donné l’exemple qu’on pouvait aller dans cette voie. »
Exemple de cette épopée du quotidien:
Félicité
La moindre fêlure
d’une vitre ou d’un bol
peut ramener la félicité d’un grand souvenir
les objets nus
montrant leur fine arête
étincellent d’un coup
au soleil
mais perdus dans la nuit
se gorgent aussi bien d’heures
longues
ou brèves.
Jean Follain
Jean Follain, portrait de Maurice Denis. |
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