09/05/2019

Cantique des Cantiques, une ode à la vie et à l'amour







C’est le plus beau des cantiques, le cantique par excellence, Le Cantique des Cantiques. C’est un recueil de chants d’amour à deux voix, amour mutuel d’une Bien-aimée et d’un Bien-aimé. Le Cantique est attribué au roi Salomon, la Bien-aimée est appelée la Sulamite. En voici le prologue :

« Qu’il me baise des baisers de sa bouche.
Tes amours sont plus délicieuses que le vin ;
L’arôme de tes parfums est exquis ;
Ton nom est une huile qui s’épanche,
C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. 

Entraîne-moi sur tes pas, courons !
Le roi m’a introduite en ses appartements ;
Tu sera notre joie et notre allégresse.
Nous célébrerons tes amours plus que le vin ;
Comme on a raison de t’aimer ! »

                                                                               Photo: Didier Ben Loulou.

Pour faire résonance à ce chant sublime de l’amour érotique et mystique, le poète Zéno Bianu a écrit une suite poétique de toute beauté :

« M’embrassera
oui
m’embrasera
d’un seul baiser de sa bouche
tes étreintes
sont plus folles
que tous les vins
tous les vins

ton odeur est si bonne
et ton nom s’écoule
comme une huile
c’est ainsi 
que les jeunes femmes
de toi s’éprennent ».

A partir du texte de  Zéno Bianu, l’ensemble Odradeck  a conçu une pièce musicale polyphonique particulièrement riche, composée par Laurent Cohen. 
C’est une oeuvre collective qui conjugue à merveille tradition hébraïque et modernité : elle entend mêler influences ethniques, rock alternatif et atmosphères néo-classiques et elle y réussit parfaitement. La musique est excellente et jouit d’une interprétation raffinée, avec, en contrepoint du texte récité par Zéno Bianu, le chant sublime d’Annie Lulu, en anglais, en espagnol, en roumain ou en hébreu, et les claviers électroniques de Sandrine Saporta. Autre pièce maîtresse de cette aventure : le visuel signé par Didier Ben Loulou, photographe passionné de Jérusalem et grand maître de la couleur.

L'ensemble Odradeck, de g. à d. : Sandrine Saporta (piano), Zeno Bianu (poète), Annie Lulu (chanteuse), Didier Ben Loulou (photographe), Laurent Cohen (compositeur).


L’originalité de ce spectacle est de présenter cette relecture biblique comme une méditation de Leonard Cohen. On se souvient que le génial Canadien avait souvent fait référence, dans ses poèmes et ses chansons, au monde des récits bibliques. Ainsi dans ce poème repris, dans les années 60, sous le titre de When I Hear You Sing dans une édition de ses Selected Poems :

« Quand je t’entends chanter
Salomon
gorge animale, yeux rayonnants
sexe et sagesse
dont mes mains souffrent 

J’ai laissé du sang sur les portes de ma maison
Salomon
Je suis très seul d’avoir adressé des chansons
à Dieu car
je pensais qu’à part moi il n’y avait personne
Salomon ».


                                                                                Photo Didier Ben Loulou.

Ce que Zéno Bianu met dans la bouche de Leonard Cohen, en renouvelant sa thématique, est magnifique :

« Quand je t’entends chanter
Salomon
je tremble et je m’irise
des signes de piste
épuisent la nuit des possibles
des signes de piste se rejoignent
parmi tous les univers
et je te vois au plus vif
tu danses
avec tes alphabets scintillants

tu danses
avec tes boucliers de solitude
quand je t’entends chanter ainsi
Salomon
je t’écoute
voix de papier de verre
centrée sur la pulsation de l’air ».

Zéno Bianu va plus loin encore en convoquant dans son univers intérieur, pour l’élargir, une cohorte de grands inspirés : William Blake, Garcia  Lorca (le premier poète de Leonard a aimé), Gertrud Stein (« a rose is a rose is a rose »), Rabbi Nahman, Bob Kaufman, Aimé Césaire (« devenu arbre à force de contempler les arbres »), et Arthur Rimbaud, qu’on retrouve avec la Sulamite « sur les archipels sidéraux ». Et comment oublier Janis Joplin dans la chambre mythique du Chelsea Hotel ? :

« il suffit de l’écouter chanter 
Summertime 
pour comprendre au plus chaviré 
l’honnêteté émotionnelle ».

Le thème de la relation amoureuse est central dans l’oeuvre de Leonard Cohen. Comme si, pour cet éternel amoureux, la passion érotique, bouche à bouche, membre à membre, était la façon la plus sublime de rendre hommage au Créateur. « Je ne peux oublier où ont été mes lèvres,/ ces collines sacrées, ce ravin profond », chante-t-il dans Never Any Good. On comprend que Le Cantique des Cantiques ait marqué son œuvre en profondeur.


Par la voix vive de Zéno, Leonard abandonne les fastes de la mélancolie et s’encourage à l’espérance :

« le bonheur et la grâce
transpercent tous mes mots
passion enchantement
frémissement vertige
exorcisme ferveur
exaltation effervescence
émoi saisissement
secousse éblouissement
célébration foudroiement
trait d’union
souffle premier
je joue ma vie
au plus que présent
je jette de l’huile
sur le feu central ».

Ce livre-CD d’Odradeck est une merveille. Un grand moment de grâce et de joie errante. L’invitation irrésistible à chanter, quand bien même tout irait de travers, l’hymne « Alléluia ».  Sans rien d’autre sur la langue. Un alléluia torrentiel, brasillements d'allégresse, coups au cœur, désir d’éternité. La beauté du monde. 
Et chaque souffle que nous respirons est un Hallelujah.

Bruno Sourdin.





Cantique des Cantiques,  Songes de Léonard Cohen, de Zéno Bianu & Odradeck, photographies de Didier Ben Loulou, éditions de L'Improbable, avril 2019.
www.levaisseauimprobable.fr

Un EP accompagne ce livre. Il a été enregistré par Odradeck en janvier 2019.

Odradeck:
Zéno Bianu : texte, voix ;  Laurent Cohen : musique, guitares ;  Didier Ben Loulou : visuel; Annie Lulu : guitare, voix, percussion; Sandrine Saporta : synthés et production.





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