10/06/2014

Rue Gémare, la fin d'un rêve normand


La dernière fois que j’ai vu Claude Pélieu et Mary Beach, ils habitaient à Caen, au 3e étage d’un petit immeuble de la rue Gémare. Ils avaient décidé, en septembre 1993, de revenir en France et de s’installer en Normandie, « à la grâce de Dieu ».
J’étais souvent allé leur rendre visite, d’abord dans une petite commune du front de mer, à Colleville-Montgomery (Colleville, « la ville du collage », nom que Claude pensait prédestiné mais où, très rapidement, il s’ennuya), puis finalement dans leur Studio Réalité à Caen, en plein centre-ville. Je me souviens que j’étais venu les chercher pour partager le repas de Noël, chez moi, à Saint-Lô, avec mes deux jeunes enfants. Ce fut un grand moment d’amitié et Claude m’en avait souvent reparlé.

Je me souviens très bien aussi de juin 1994. J’étais venu passer une semaine à Caen pour mon boulot, pour travailler sur le 50e anniversaire du Débarquement à la rédaction d’Ouest-France, qui est située juste en face de leur immeuble, rue Gémare. J’avais eu de longues conversations avec Claude et, un après-midi au café des Quatrans, je compris qu’il avait définitivement pris en grippe ce qu’il appelait « la fuckin’ Normandy, parano et merde de poulet ». Il ne cachait plus ses gros problèmes. Il répétait qu’il ne supportait plus « la connerie et la crasse française ». On avait l’impression, comme naguère Céline, qu’il attendait ici la fin du monde. Mais je n’imaginais pas pour autant qu’il lâcherait tout si brusquement et qu’ils repartiraient tous les deux, en catastrophe, pour New York, avec quatre sacs de voyage, laissant derrière eux tous leurs souvenirs, leurs archives et leurs grands boulots, peintures et collages. Ils n’avaient pas d’autre solution que de fuir et d’oublier « ces seize mois d’enfer ».

Claude et Mary ont repris l’avion le 8 janvier 1995. Ils repartaient à zéro à New York, harcelés par les banques, la dèche la plus totale, la fatigue, les emmerdes de santé, la violence… « La vie est difficile ici, au milieu de nulle part, ne tarda-t-il pas à me confier lorsque nous avons repris notre correspondance. Mais on n’a pas le choix. »

B.S.


L'immeuble de la rue Gémare à Caen.

Claude Pélieu à Colleville-Montgomery                              (Photo Bruno Sourdin).

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