Marin-pêcheur lorientais et poète, Alain Jégou a embarqué pour
son dernier voyage le 6 mai 2013. Pour lui, la vie était un combat et,
lorsque la maladie est venue, ce combat, il l’a mené jusqu’au bout. J’aimais sa
fureur de vivre, son regard fraternel et libre et la volupté de son écriture.
Alain Jégou est l’auteur d’un livre unique sur la mer,
« Passe Ouest », dans lequel il a su dire les moments de plénitude et
d’allégresse que lui ont procuré 28 ans de navigation en qualité de
marin-pêcheur. À bord de l’« Ikaria », son bateau, il a fréquenté les
zones de pêche de Bretagne Sud, des îles Glénan au sud de Belle-Ile. Un métier
très difficile, qui exige beaucoup de courage et de passion.
Alain Jégou sait dire ses émerveillements mais aussi ses
colères, et quand il pique une colère, cela s’entend. Il ne s’embarrasse pas de
phrases ronflantes ni de rêveries pseudo-poétiques. Il va droit au but et ça
décoiffe, parfois avec des mots crus et vite expédiés. Comme il le dit lui-même,
il ne fait pas partie du « clan des raffinés ». Il n’écrit pas dans
une langue maniérée mais, avec ses audaces et parfois sa véhémence, sa parole
passe bien. Elle tient du vertige, de l’émerveillement et de l’ivresse des
profondeurs. C’est une langue qui swingue à chaque coup de roulis.
L’œuvre du poète de Lorient est vraiment originale. Enracinée
dans la Bretagne, elle est totalement ouverte sur le monde. C’est l’œuvre d’un
homme qui sait dire merci à la vie, d’un écrivain généreux avec son lecteur, qu’il
invite à embarquer à bord de l’« Ikaria », sans cérémonie. Une
expérience unique. Et c’est certainement le plus formidable livre sur la mer
qu’un poète contemporain a écrit. Une voix sauvage et révoltée.
Alain n’était pas seulement un bourlingueur de l’océan, c’était
aussi un homme charmant, qui avait un sens profond de l’amitié. Et c’était un
grand poète. Proche de Claude Pélieu, le « passeur » des écrivains de
la Beat Generation, il a été un de ceux qui ont remagnétisé l’atmosphère
poétique à la fin des années 60. Avec la mer à fleur de tripes, Alain Jégou a
maintenu son cap, celui d’un empêcheur de naviguer en rond, qui continue,
contre vents et marées, à rêver de fraternité universelle.
À 60 ans passés, pour échapper à la routine et au confort,
pour éviter le « fatal ressac », il nous avait offert une magnifique
surprise, en se lançant dans l’écriture d’un polar. Pleins feux donc sur les
manœuvres glauques d’une bande de trafiquants dans le port de Lorient. Le
chahut bat son plein. Coups de boutoirs ! Tintamarre ! C’est tonique
et radical. Alain Jégou s’y révèle tel qu’en lui-même : un écrivain
rebelle, toujours sur la brèche. Un sacré grand bonhomme, assoiffé de
« liberté libre », qui écrit pour que les naufragés de l’existence se
sentent moins seuls. Curieux de tout ce qui flotte, il prône une vie intense,
sous le signe de la joie trépidante et de l’amitié. Cette amitié qui lui fait
chaque matin pousser des ailes et larguer les amarres.
Alain est donc allé rejoindre notre vieux pote Claude Pélieu. Là
où ils sont, ils ont énormément de choses à se raconter et ça ne doit pas être
triste.
Ciao, Alain. Un grand merci. Je t’ai beaucoup aimé.
Bruno Sourdin
La dernière fois que j'ai vu Alain, c'était au festival interceltique de Lorient, en août 2011. Il est ici avec son pote saxophoniste qui l'avait accompagné dans une lecture qui swinguait bien. |
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