Claude Pélieu, tel que je l'ai connu, en 1993 à Colleville-Montgomery, sur la côte normande près de Caen. |
Claude Pélieu s’est éteint en décembre 2002, le jour de
Noël, sur un sinistre lit d’hôpital à Norwich, une petite ville perdue au nord
de l’état de New York. Celui qui avait vécu avec les écrivains de la Beat Generation et
qui avait remagnétisé l’atmosphère poétique dans la France des années 1960-1970
vivait aux États-Unis depuis plus de 30 ans. Avec une amputation de la
jambe droite et un cancer qui a poursuivi sa progression inéluctable, son
destin tragique fait beaucoup penser à celui de Rimbaud. Quelle vie ! Avec
les mêmes souffrances, le même martyre et la même rage de repartir. A
60 ans, il restait une sorte de voyou chercheur d’or, toujours assoiffé de
« liberté libre » et absolument irrécupérable. Sa parole était
toujours aussi décapante, ses derniers écrits, que l’on commence tout juste à
reconsidérer, sont des feux d’artifice effervescents.
Claude Pélieu était aussi féroce avec les nantis et les
donneurs de leçons, que chaleureux avec ses amis. Lesquels lui rendent
aujourd’hui, dans un ouvrage collectif conçu par Alain Jégou (1), un hommage formidable,
truffé d’inédits. « Il a tissé un formidable réseau d’amitié indéfectible,
écrit Jégou. Par-delà les océans et les continents, il a permis à de nombreux
poètes, musiciens et artistes de se rencontrer et de fraterniser. »
Avant l’hiver 2001, il m’avait donné carte blanche pour
sélectionner pour « Diérèse » une vingtaine de poèmes à partir d’un
tapuscrit intitulé Poèmes éparpillés
qu’il m’avait envoyé en cadeau. Ces poèmes, écrits dans les années 80 et 90,
avaient été publiés ici et là en France dans des revues ou des fanzines et à
très peu d’exemplaires. Alors que son vieil ami Allen Ginsberg s’éteignait au
Beth Isral Hospital de New York City en avril 1997, Claude était en train de
rassembler et de réunir en volume ces poèmes enfouis dans les plis du temps.
« Il faut que je sélectionne sauvagement », m’écrivait-il à l’époque.
Fatigué, malade et sans ressources, il avait bien du mal à ne pas flipper, à ne
pas se sentir coincé, laminé dans ce trou d’Amérique, « au milieu de nulle
part ».
Son œuvre de traducteur et de « passeur » de la Beat Generation (avec sa femme
Mary Beach) a été considérable : William Burroughs, Allen Ginsberg,
Lawrence Ferlinghetti, Bob Kaufman, excusez du peu. Elle a malheureusement
éclipsé son travail personnel de création poétique, qui est pourtant
particulièrement riche et novateur. En relisant, pour « Diérèse »,
cette mini-anthologie des Poèmes
éparpillés, j’ai à nouveau été subjugué par la force de cette voix sauvage
et unique, neuve et un brin désinvolte, par cette imagination pleine de
déferlements inouïs. Et dans sa riche production, j’ai toujours un faible pour le
Pélieu des poèmes courts, qui appréciait beaucoup l’art du paradoxe des poètes
japonais, qui était à la fois fan de haïkus et « mauvais élève du
Dharma ».
« Assis dans la cuisine
Devant un bouquet de fleurs
Pall Mall et vodka
Le grand vide
Rien n’est sacré
L’herbe l’oubli
Et le parfum des fleurs
Qui parle ? qui respire ?
Qui êtes-vous ? n’sais pas »
Claude Pélieu n’avait pas de mots assez durs pour
stigmatiser le coin du Nouveau Monde où il se sentait en exil. Mais c’est
pourtant dans ce Grand Nord enseveli sous la neige qu’il avait choisi de
poursuivre et de terminer sa route. Aimanté par cet ailleurs, éveillé à de
nouvelles explorations et soutenu par son amour indéfectible pour Mary, le
vieux loup de la vallée des Mohawks a habité jusqu’au bout cette terre en
poète.
Bruno SOURDIN.
(1) « Je suis un cut-up vivant », ouvrage
collectif autour de Claude Pélieu, l’Arganier, 280 pages, 24 €.
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