Manuel Van Thienen est traducteur. Passionné par la littérature des peuples indigènes de tous les continents, il veut donner une voix en français à ceux qui ont été bafoués - et qui continuent de l’être - par les colonisateurs européens. La traduction est son combat et, pour ses lecteurs, son travail est un choc énorme.
Manuel Van Thienen. |
En 1988, il a fondé une association qu’il a appellée « Sur le dos de la tortue ». Pendant 10 ans, il se consacre à la publication d’une revue qui explore les territoires littéraires des Amérindiens, Aborigènes, Papous et Maoris, « tous victimes de la loi du plus fort ». 28 numéros sont sortis.
En 2017, il sort une Anthologie de la poésie amérindienne (1) : 127 auteurs contemporains des États-Unis et du Canada, choisis et traduits par ses soins. Formidable livre, à la fois enthousiasmant et douloureux, qui révélait les paroles de peuples vivants et dynamiques, loin du cliché du bon sauvage en voie de disparition.
Et, cette année, il nous entraîne à Aotearoa, le nom maori de la Nouvelle-Zélande, qui signifie littéralement « La Grand Nuage Blanc ». Avec Sonia Pratti, ils ont traduit 70 auteurs contemporains traitant, dans leurs poèmes, « des luttes incessantes contre l’envahisseur européen » et qui entendent bien maintenir leurs traditions. « Les cultures autochtones, souligne Manuel Van Thienen, sont laminés par la religion du plus fort, le monothéisme, grand pourfendeur des animismes et autres croyances faisant la part belle au respect de la nature. »
« Nous sommes la vase
nous sommes la tache de rouille
rincés
lessivés
trop insignifiants pour qu’on s’en souvienne
sans voix, sans visage
nous sommes les laissés pour compte »
(Phil Kawana)
Pour le monde des colonisateurs, il n’y a qu’une chose qui compte : faire du profit, piller les ressources, raser les forêts, si c’est un moyen de gagner de l’argent, « ce dieu aveugle de l’Occident ». Le fait que des hommes vivent dans cette nature magnifique depuis des milliers d’années n’a aucune importance pour eux.
« Vous avez volé nos territoires
vous ne pouvez pas régir nos âmes
l’européanisation est notre ennemi mortel
Nous la défions et nous y opposons »
(Saana Murray)
« Quand la civilisation occidentale sera effondrée, pense-t-il, ce seront ces peuples du futur qui permettront à l’espèce humaine de reconstruire le monde. »
« Donne-nous les arts précieux de nos ancêtres,
les sculptures, les dessins et les motifs, les histoires
et les chants traditionnels
Permet à ceux de cette génération d’essayer
de les combiner avec les talents
que nous avons dans le monde changeant d’aujourd’hui
Donne-nous ton plus grand cadeau, aroha (l’amour),
dans toutes ses acceptions
Il apportera la paix, la bonne volonté, l’amitié parmi les peuples
et nous sortira du monde des ténèbres et de l’ignorance
pour nous faire entrer
dans la lumière de la connaissance et de la compréhension. »
(Wiremu Kingi Kerekere)
Cette anthologie, Manuel l’a dédiée à sa fille Maëlle Van Thienen, qui a décidé de s’installer dans l’île du Nord d’Aotearoa et d’y fonder une famille.
Bruno SOURDIN.
(1) Editions Maison de la poésie Rhône Alpes/Le Temps des Cerises.
Aotearoa, anthologie de la poésie maori contemporaine, Editions de la Tortue (Sur le Dos de la Tortue, 590 chemin du Sert, Le Sert, 07520 Lafarre.
http://surledosdelatortue.free.fr
***
Quatre poètes maoris
Arapeira Hineira Blank
Le temps du rêve
Quand tu te sens
l’âme pesante
le ventre noué
le cœur lourd,
cherche les bras de quelqu’un,
et si personne ne vient,
regarde en toi
respire calmement,
écoute la musique
du silence,
étend-toi immobile, flotte
sur un velours noir
jusqu’à ce que ton corps
baigne dans le calme,
déroule lentement ton rêve apaisant.
Imagine que tu vins
en ce monde
sur un nuage de soie fine
rouge-orangé, chatoyant
avec l’aurore, flottant
vers une terre humide de rosée,
qui se réchauffe avec toi
emplit son peuple d’espoir
pour la paix spirituelle,
maintenant
et pour toujours.
Le soleil se lève
le soleil se couche
Le soleil se lève.
He ra ka whiti
he ra ka to
He ra ka whiti.
*
Apirana Taylor
Haka
Quand j’entends le haka
je le ressens dans mes os
et dans mon wairua (âme)
l’appel de mes tipuna (ancêtres)
flashe comme un éclair
le long de mon échine
me fait rouler les yeux
et claquer la langue
c’est la danse
de la terre et du ciel
du soleil levant
et du séisme
c’est le premier souffle de vie
eeeee aaa ha haaaa
*
Abigail McClutchie
Va dans les montagnes
Va dans les montagnes
ainsi tu sera purifié
par les vents de Tawhirimatea (dieu des vents)
et tu seras libre.
Va à l’océan
ainsi tu ressentiras la paix
du chant de Hinemoana (déesse de la mer)
et tu sera inspiré.
Va dans la ngahere (forêt)
ainsi tu sera revitalisé
par l’énergie de Tane Mahuta (dieu de la forêt)
et tu sera transformé.
Va vers la source intérieure
ainsi tu pourras entendre le pouvoir
et l’essence intérieure
et tu seras illuminé
car je suis la Puissance divine en toi
TE AO MARAMA (le monde de la lumière).
*
Paula Kora
Te aute te whawhea
(quand règne la paix, même l’écorce fine n’est pas perturbée par le vent)
C’était en ce temps du rêve
non plus la nuit mais pas l’aube encore
les mers immobiles et les vents
attendant de naître
des lèvres des dieux célestes
C’était en ce temps du rêve
que je sentis ses mains toucher mes cheveux
et son doux baiser
mouiller mon front tourmenté
de ces doigts experts
elle massa ma tête
avec une tendresse
que je ne peux décrire que comme de l’amour
Et je laissai la vague
de son esprit flottant
déferler sur les douleurs tenaces
dans mon corps
TE AUTE TE WHAWHEA
me murmura-t-elle
dans ce temps du rêve
alors que ce n’était plus la nuit
mais pas l’aube encore
(Traduit de l’anglais et du maori par Manuel Van Thienen et Sonia Protti)
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