25/05/2022

Les installations de Nils-Udo révèlent la beauté de la nature


Nils-Udo peint avec les nuages, dessine avec les fleurs, écrit avec de l’eau. Cet artiste allemand, pionnier du land-art, travaille dans la nature. Dans et avec la nature.


"Le Nid", Lunebourg, Allemagne, 1978.

Toutes ses oeuvres résultent d’une promenade, au cours de laquelle il a ramassé, dans le lieu qu’il a investi, des éléments qui lui semblent remarquables: ce peut être des feuilles, des fleurs, des racines, des baies sauvages… Avec le fruit de sa collecte, il réalise sur place une installation: une oeuvre éphémère, qui change au gré du vent ou de la pluie et qui varie dans la journée en fonction de la lumière du jour. Une oeuvre éphémère qu’il va ensuite photographier. Grâce à ces clichés, qu’il exposera plus tard, il conserve le souvenir d’un moment unique, d’un instant qui va disparaître.


Nils-Udo est né en Bavière en 1937. Il a étudié les arts graphiques à Nuremberg avant de venir se perfectionner à Paris, où il est resté 9 ans. Mais il a fini par se rendre compte que, dans le domaine de la peinture, il n’apportait pas grand chose de neuf. Insatisfait de son travail, il a presque tout détruit et est retourné en Bavière. Il y apprend la photographie et commence, au début des années 70, à travailler « à la source », dans la nature et à effectuer des installations in situ.


"Ginsterlicht III, Sierra de Gredos, Espagne, 2021.


Il devient alors un des pionniers du land-art, même s’il s’en démarque. A l’image de Richard Smithson ou Michael Heizer, les protagonistes du land-art déplacent des tonne de terre et de cailloux pour créer, dans des paysages désertiques, des oeuvres gigantesques. Nils-Udo, c’est tout le contraire: il veut surtout montrer la beauté de la nature avec des éléments simples, qu’il a recueillis sur place.


Ainsi, pour son Nid d’hiver, il utilise des boule de neige qu’il colore avec du jus de baies d’obier et qu’il entoure d’un triangle de ronce. Magnifique!


"Nid d'hiver", Allemagne, 1996.


Nils-Udo est un grand voyageur. A l’île de la Réunion, il remarque un ruisseau volcanique. Pour souligner la rugosité de la pierre, il a recours à des fleurs de digitales qu’il dispose en un cercle d’une grande délicatesse.


"Lit de ruisseau volcanique", Ile de la Réunion, 1990.


A Vallery, dans l’Yonne, sur une terre de sous-bois, il rassemble des feuilles mortes, des jacinthes et des branches de noisetiers pour mettre en valeur une petite mare dans laquelle se reflète un ciel nuageux.


"Petit lac", Vallery, 2000.


Au début des années 2000, il revient à la peinture. « C’est une deuxième vie qui commence », s’enthousiasme-t-il. Il s’agit en effet d’une véritable renaissance. Il peint de mémoire, utilisant les souvenirs de ce qu’il a vu pendant ses promenades. Sa peinture est une célébration de la couleur et il en résulte une forte impression de joie et parfois d’étrangeté.


"My Pena Rock", huile sur toile, 2016.



Qu’il peigne ou qu’il photographie, Nils-Udo réussit toujours à valoriser la poésie des lieux. Son regard est profond. Ode à la beauté, son oeuvre témoigne aussi de la fragilité des choses. Elle nous invite à regarder la nature différemment, à souligner sa « dimension divine » et son impermanence.


Bruno SOURDIN.


Nils-Udo: Art in nature. Peintures et photographies au Musée d’art et d’histoire de Saint-Lô (Manche). Jusqu’au 28 août 2022.





14/05/2022

L'âme du Cotentin, un inventaire

François Simon sur les quais de Cherbourg, dans la presqu'île aux trésors.          Photo Ouest-France


Nous attendions avec impatience que François Simon raconte son Cotentin. Personne mieux que lui n’a écrit sur ce pays du bout du monde, « ce pays amphibie, boulevard des coups de chien, presqu’île aux trésors ». Le livre vient de sortir et il est merveilleux. « Tout est sorti d’un jet, comme lorsque l’on marche sur un tube de dentifrice non rebouché. »


Né natif du nord de la Manche, François Simon est revenu vivre dans la presqu’île après une riche carrière de grand reporter au journal Ouest-France. Son livre est intitulé L’âme du Cotentin. L’âme? Oui, mais, comme son auteur aime les facéties, la couverture nous montre un « âne », un âne gris du Cotentin que les gens d’ici appellent « un quéton ». 


Le quéton et les 57 dessins qui illustrent l’ouvrage sont signés par Yann-Armel Huel, lui aussi journaliste à Ouest-France, qui  fit ses débuts dans la Manche et vit aujourd’hui à Rennes « avec un bout de coeur resté pour toujours dans le Cotentin ». On le comprend.


Avec L’âme du Cotentin, François Simon nous fait entrer dans un continent insoupçonné, qu’il raconte avec une grande humanité. Ce livre touchant, intime, résonne longtemps en nous.


Jacques Prévert était tombé amoureux du cap de la Hague dans les années 30. Il aimait y séjourner, il avait ses habitudes: « la chambre 7 de l’Erguillère surplombant Port-Racine »,  quand il cherchait une maison « dans le Finistère le plus proche de Paris ». Le Cotentin fut donc son dernier refuge. A 70 ans, il acquit une maison dans le village du Val, à Omonville-la-Petite. Il repose désormais dans le cimetière communal aux côtés de son ami et complice Alexandre Trauner, le grand décorateur de cinéma. 


Jacques Prévert adorait ce petit bout de terre qui s’enfonce dans l’océan. Amoureux des mots, il affectionnait les facéties, les bizarreries et … les inventaires. Quoi de mieux qu'un inventaire, en effet, pour saluer cet asile de paix. Un inventaire sans raton laveur mais avec quelques quétons, tendres, malins et ricaneurs. Car le quéton, comme l’écrit François,« c’est un typique de chez nous ». 

Bi l’boujou, mister Simon!






L’âme du Cotentin, un inventaire

(pour François Simon)


Une averse

deux goélands

trois soudeurs

quatre parapluies 

une rade

des sous-marins


un quéton


douze sortes de pluies un empereur une améthyste

un bar à matelots 

une gueule d’atmosphère

six écaillers

un mouton à tête noire 

une femme qui valse


un autre quéton


un rêveur d’escales

une tête de cheval dorée

deux coiffes de mariage

un angélus

cinquante nuances de gris

une vache

un taureau

deux châteaux de sable trois huttes à biches quatre pompons rouges

un tigre d’écume

une notre bleue

une frégate sous voile

un vent inépuisable

et…


cinq ou six quétons


une digue de dingues

un souverain décoiffé

une tempête

un blockhaus douze patrouilleurs une station-service

un troupeau de cotentines

un pont tournant deux cocus du port trois shadocks quatre horsains

un taiseux mille migrants et beaucoup de poumons brûlés

un cheval qui trotte

un bout du monde deux traits de chalut, trois cafés calva

un manchot

l’usine Port Racine la chambre 7 de l’Erguillère

et…


plusieurs quétons


Bruno SOURDIN.




L’âme du Cotentin, par François Simon, Orep éditions, 2022.

03/05/2022

Jean-Claude Touzeil: le miracle du Printemps de Durcet

 

Jean-Claude Touzeil.                                     (photo Yvon Kervinio)


Jean-Claude Touzeil est le fondateur du « Printemps de Durcet », une grande fête de la poésie qui se tient chaque année, depuis 36 ans, dans cette petite commune rurale de l’Orne.


Durcet a obtenu le  label officiel « Un village en poésie » et, pour ses 300 habitants, c’est une grande fierté: « Le Printemps de Durcet, le Chemin des poètes, le Salon du livre de la poésie: qui aurait pu imaginer un truc pareil en pleine campagne dans le bocage normand? On se rend compte qu’il y a ici une forte proximité avec la poésie, dit-on ici. Les habitants sont des ruraux, des gens souvent modestes, qui aiment la vie à la campagne. ils aiment la nature et l’observation du quotidien. »


Guy Allix, un habitué du "Village en poésie".

« Durcet… cela relève du miracle, constate de son côté le poète Patrick Joquel, qui vient chaque année des Alpes Maritimes pour retrouver, un week-end d’avril, ses amis normands. Réussir à concentrer autant de poètes (et d’éditeurs, d’artistes) dans un si petit village… chapeau! Et quand, en plus, le public vient les écouter, parler, acheter… alors là, moi j’en reste pantois. Le secret: sans doute l’amitié des habitants du village, leur volonté et leur sens de l’accueil. Durcet: rare! et précieux. »


Cette année, le « Printemps de Durcet » a dédié son « Chemin des poètes » à son fondateur : seize poèmes de Jean-Claude Touzeil ont été semés tout au long des chemins du village.




Jean-Claude est né d’un père normand et d’une mère slovaque. Pendant la guerre, Gita, sa mère, avait traversé l’Europe « en pleine débâcle à bord de trains hasardeux » pour rejoindre son homme qui vivait dans un petit village de la Manche, au pays des marais de Carentan, dans la Manche. Elle ne savait que trois mots de français, « seulement des mots d’amour, alors que tout le monde parlait patois… ». Gita a quitté les siens un après-midi de fête à Durcet, au moment où les invités de son fils célébraient le printemps de la poésie. Dans Petits cailloux pour Gita (1), Jean-Claude se souvient:

« Dans les débuts

du « Printemps de Durcet », 

c’était plutôt familial.

Avant le spectacle, 

les artistes et les poètes

venaient manger à la maison.

Moments d’autant plus 

rares et précieux

que Maman était aux fourneaux…

Très à l’aise avec tout le monde,

plaisantant avec l’un ou l’autre, 

heureuse de pouvoir 

donner un coup de main.

Et sa « paupiette du poète » 

faisait l’unanimité! »

Pour dire adieu à sa mère, Jean-Claude Touzeil a rassemblé avec ferveur des « petits cailloux » qui disent, avec ferveur et émotion, la grandeur d’une vie simple et limpide, une vie de courage, d’énergie et d’éclats de rire. « Elle forçait le respect, l’étrangère ».

Aujourd’hui, le printemps est revenu et, dans le ciel de Durcet, « les nuages continuent à courir, on se demande pourquoi ».



Jean-Claude Touzeil, Chemin des poètes 2022.




Jardinier des mots, Jean-Claude Touzeil  a planté des arbres un peu partout, il milite pour une poésie simple, concise et vivante. Peuples d’arbres (2) est son livre magique, plusieurs fois réédité.


« Derrière les arbres

le poids des jours

sur les épaules

la foi la patience

de la goutte d’eau


Derrière les arbres

l’obstination de l’insecte

le courage des fourmis,

la joie des écureuils

grignotant le soleil


Derrière les arbres

la sagesse des hiboux

et la fraternité

des hirondelles


Derrière les arbres

le silence des loups


Les hommes toujours ».




Dans Poirier proche (3), Jean-Claude Touzeil rend hommage à l’arbre magnifique qui s’offre à son regard lorsqu’il ouvre sa fenêtre et qui, dans son village, est son plus proche voisin. Ce poirier est un arbre excentrique et formidable: il rêve, il joue de l’accordéon, il fait le clown, il jongle avec les étoiles, et par-dessus tout il parle (il est même bavard!):

« Je plonge mes racines

à des profondeurs

que vous n’imaginez

même pas


Je fonce à l’aventure

des terres inconnues

du côté des ancêtres

et sous le tumulus

j’écris à ma façon

des poèmes ».


Jardinier dans l’âme, Jean-Claude Touzeil a consacré aux Jardins du bout du monde (4) un vibrant et très amusant plaidoyer. Les plantes du poète font rêver:

« Des gypsophiles,

des nivelles et des abutilons,

des abysses et des crapaudines ».

Et son jardin n’est pas triste: les éléphants désherbent, les cornichons jouent à cace-cache avec le jardinier, les légumes poussent la chansonnette, l’escargot a tout son temps. Poésie qui dépasse la mesure et que l’on croque à belles dents. Poésie que l’on effeuille un peu, beaucoup, passionnément, à la folie…


Patrick Joquel

Yves Barré

Yves Artufel



Dans Café vert tzigane (5), le poète amoureux des arbres et des chemins de traverse dialogue avec le peintre Matt Mahlen, en pensant aux Tziganes de son enfance, êtres magnifiques habillés de velours vert. Ses poèmes disent le voyage et le plaisir de l’errance, mais aussi les noces de la terre avec le soleil, de l’eau avec le vent, ce vent qui va où il veut - « Ce voyou de vent/ a glissé des accents de violon tzigane » - et qui répand çà et là « des ferments de poésie ». Il y a dans ce beau recueil quelque chose d’inestimable, l’autre côté du miroir, ce parfum d’enfance qu’aide les hommes à se maintenir. Un hommage vibrant à la liberté et à la vie.


Jean-Claude Touzeil pense que la poésie est une petite bougie qui éclaire très fort. Sept dialogues d’ailleurs et d’ici (6) a été écrit avec son ami Patrick Joquel. Les deux poètes ont eu l’idée de s’envoyer des vers par la poste, d’y répondre, d’entamer un vrai dialogue, sans pour autant se prendre la tête. Extrait du premier dialogue, sous forme de haïkus. 

Joquel: 

« Ici la terre est plate

Et sous le soleil tête

Le chant des oiseaux ».

Touzeil: 

« Vers le soleil rouge

Trois oiseaux à fond la caisse

Sans doute une urgence ».

Dans ce beau petit livre illustré par Yves Barré, il y a aussi des dialogues de sourds, des dialogues de fous, des anagrammes, des exercices de style, des clips d’oeil à Queneau, à Prévert, à Desnos… Poèmes sans gravité. Poèmes du plaisir partagé.


Dans Est-ce que (7), les questions qu’il se pose peuvent être vraiment drôles, voire étranges (« Est-ce que dans une vie antérieure, les bouleaux n’étaient pas des zèbres? »). L’humour, la cocasserie, l’insolite sont indiscutablement ses armes poétiques favorites. Ce qui ne l’empêche pas non plus de poser quelques belles questions pertinentes, comme celle-ci: « Est-ce qu’il suffit d’un chant d’oiseau pour oublier la cage? »




Chez Jean-Claude Touzeil, la poésie n’engendre jamais la mélancolie. Il écrit pour le plaisir de l’écriture, et cela se sent immédiatement: plaisir de se frotter aux mots, plaisir de jouer avec les assonances, plaisir de faire naître des images inattendues, des images que l’on gouverne et d’autres qui vous échappent… Avec lui, on entre de plein pied dans le royaume de la joie vive, de la fantaisie et de la trouvaille. Une poésie humaine et tendre. Quelle jubilation!


Bruno SOURDIN.


  1. Petits cailloux pour Gita, L’Écho optique, 2007.
  2. Peuples d’arbres, éditions Donner à Voir, 1997.
  3. Poirier proche, éditions Le Chat qui tousse, 2004.
  4. Jardins du bout du monde, éditions Corps Puce, 2006.
  5. Café vert tzigane, éditions Gros Textes, 2009.
  6. Sept dialogues d’ailleurs et d’ici, L’Épi de seigle, 2003.
  7. Est-ce que, éditions Donner à voir, illustrations Yves Barré, 1999.