23/04/2022

Zéno Bianu, une poésie ouverte sur le cosmos

Zéno Bianu

Issu de la commedia dell’arte, Pierrot est un personnage rêveur qui offre de multiples interprétations. Dans le grand livre de la poésie française, on se souvient de quelques interprétations magistrales : Verlaine le transforme en spectre morbide et effrayant ; Mallarmé renvoie son Pierrot à la page blanche, pas encore écrite. Dans la tradition italienne, l’ami Pierrot est un personnage lunaire, celui de Zéno Bianu est solaire et cela change tout.

 

Zéno Bianu est un poète haut et profond, un chercheur de vérité qui interroge constamment les tréfonds de l’âme humaine, à l’écoute de ce qu’il y a de plus secret en nous et de plus sidéral.

 

« moteur de survie solaire

combustible de la toute-vie

tétanise-moi

d’émerveillement en épuisement

tétanise-moi

pour que j’accomplisse jusqu’au bout

mon métier d’être humain

tétanise-moi

par un surcroît de grandeur »

 

Ce Moteur de survie solaire a été écrit « sur un thème de Leonard Cohen, relisant le Cantique des cantiques dans une chambre du Chelsea Hotel » à New York. C’est un des plus beaux et des plus profonds poèmes de son dernier livre, justement intitulé Pierrot solaire. Il convoque Salomon, le roi d’Israël, à qui on attribue ce merveilleux livre de la Bible:

 

« et je te lis

Salomon

et je le vérifie

depuis des millions d’années

la poésie c’est la réalité

 

je l’éprouve

dans chaque plissement

de mon corps

dans chaque repli

de mon cœur

dans les prairies ensauvagées

de mon esprit »

 

La poésie de Zéno Bianu est ouverte sur le cosmos, la lumière, le silence, le soleil. C’est une poésie qui aime la vie.

 

« rien

presque rien

 

ou si peu

le doux tourment des porteurs de vie

 

je recommence tous les mots

un à un

 

pas à pas

dans l’infiniment ouvert

 

je suis un chercheur

d’altitudes internes

 

et tout à coup

la poésie emplit l’espace »



 

 




Comme dans tous ses livres, on retrouve ici les traces des créateurs qui ont éclairé son parcours : René Daumal et les poètes du Grand Jeu, les Beats américains et le bebop, Antonin Artaud, dont la présence, depuis l’époque du Manifeste électrique de 1971 (dont Bianu est un des signataires), est toujours aussi ardente.

 

« Antonin Artaud

ce nom qui s’acharne toujours à vibrer

comme un mantra porteur

pour des générations d’ultrasensibles

en quête de singularités

toujours plus vives »

 

Zéno Bianu aime les poètes qui ouvrent un espace autre. Les poètes du jazz ont toujours eu sa préférence. Thelonious Monk, bien sûr, « tendu vers le bleu du jour » :

 

« Thelonious

à jamais 

terra incognita

 

Thelonious

prince des dissonances

titubant dans l’invisible »

 

Et voici Coltrane, sa grâce, sa noblesse, son élan vital :

 

« Il est là

sa vie est simple

mais combien majuscule

jouer encore jouer toujours

jouer

ne jamais interrompre

le cours des notes

jusqu’à tomber

comme un arbre foudroyé »

 

On lit ce livre avec une joie incessante, le cœur battant. Les portes qui s’ouvrent nous découvrent d’incessantes métamorphoses.

 

« Que fais-tu Pierrot ?

 

Je me tiens là

dans une faille du temps

j’ai effacé

toutes mes traces

pour entrer en moi-même

j’écris

sans connaître

le chemin du retour

j’avance

au fond du labyrinthe

saisi d’une ivresse précieuse

je veux continuer d’écrire

indéfiniment

pour que la lumière

ne s’éteigne jamais »

 

Ce Pierrot solaire est unique. On goûte sa ferveur et ses vertiges. Ses mots montrent la lumière et l’ombre des choses, le vide et l’obscurité, la réalité absolue. C’est une présence qui apaise et qui réjouit. Une poésie incomparable.

 

Bruno SOURDIN.

 

Pierrot solaire, de Zéno Bianu, poème, Gallimard, 2022.

 

 

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire