Zéno Bianu |
Issu de la commedia dell’arte, Pierrot est un personnage rêveur qui offre de multiples interprétations. Dans le grand livre de la poésie française, on se souvient de quelques interprétations magistrales : Verlaine le transforme en spectre morbide et effrayant ; Mallarmé renvoie son Pierrot à la page blanche, pas encore écrite. Dans la tradition italienne, l’ami Pierrot est un personnage lunaire, celui de Zéno Bianu est solaire et cela change tout.
Zéno Bianu est un poète haut et profond, un chercheur de vérité qui interroge constamment les tréfonds de l’âme humaine, à l’écoute de ce qu’il y a de plus secret en nous et de plus sidéral.
« moteur de survie solaire
combustible de la toute-vie
tétanise-moi
d’émerveillement en épuisement
tétanise-moi
pour que j’accomplisse jusqu’au bout
mon métier d’être humain
tétanise-moi
par un surcroît de grandeur »
Ce Moteur de survie solaire a été écrit « sur un thème de Leonard Cohen, relisant le Cantique des cantiques dans une chambre du Chelsea Hotel » à New York. C’est un des plus beaux et des plus profonds poèmes de son dernier livre, justement intitulé Pierrot solaire. Il convoque Salomon, le roi d’Israël, à qui on attribue ce merveilleux livre de la Bible:
« et je te lis
Salomon
et je le vérifie
depuis des millions d’années
la poésie c’est la réalité
je l’éprouve
dans chaque plissement
de mon corps
dans chaque repli
de mon cœur
dans les prairies ensauvagées
de mon esprit »
La poésie de Zéno Bianu est ouverte sur le cosmos, la lumière, le silence, le soleil. C’est une poésie qui aime la vie.
« rien
presque rien
ou si peu
le doux tourment des porteurs de vie
je recommence tous les mots
un à un
pas à pas
dans l’infiniment ouvert
je suis un chercheur
d’altitudes internes
et tout à coup
la poésie emplit l’espace »
Comme dans tous ses livres, on retrouve ici les traces des créateurs qui ont éclairé son parcours : René Daumal et les poètes du Grand Jeu, les Beats américains et le bebop, Antonin Artaud, dont la présence, depuis l’époque du Manifeste électrique de 1971 (dont Bianu est un des signataires), est toujours aussi ardente.
« Antonin Artaud
ce nom qui s’acharne toujours à vibrer
comme un mantra porteur
pour des générations d’ultrasensibles
en quête de singularités
toujours plus vives »
Zéno Bianu aime les poètes qui ouvrent un espace autre. Les poètes du jazz ont toujours eu sa préférence. Thelonious Monk, bien sûr, « tendu vers le bleu du jour » :
« Thelonious
à jamais
terra incognita
Thelonious
prince des dissonances
titubant dans l’invisible »
Et voici Coltrane, sa grâce, sa noblesse, son élan vital :
« Il est là
sa vie est simple
mais combien majuscule
jouer encore jouer toujours
jouer
ne jamais interrompre
le cours des notes
jusqu’à tomber
comme un arbre foudroyé »
On lit ce livre avec une joie incessante, le cœur battant. Les portes qui s’ouvrent nous découvrent d’incessantes métamorphoses.
« Que fais-tu Pierrot ?
Je me tiens là
dans une faille du temps
j’ai effacé
toutes mes traces
pour entrer en moi-même
j’écris
sans connaître
le chemin du retour
j’avance
au fond du labyrinthe
saisi d’une ivresse précieuse
je veux continuer d’écrire
indéfiniment
pour que la lumière
ne s’éteigne jamais »
Ce Pierrot solaire est unique. On goûte sa ferveur et ses vertiges. Ses mots montrent la lumière et l’ombre des choses, le vide et l’obscurité, la réalité absolue. C’est une présence qui apaise et qui réjouit. Une poésie incomparable.
Bruno SOURDIN.
Pierrot solaire, de Zéno Bianu, poème, Gallimard, 2022.
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