« Si j’avais tant tardé à t’écrire, c’est parce que j’avais perdu mon stylo mais aussi mon pouce et mon index qui étaient collés dessus. J’ai voulu les chercher mais je me suis aperçu que je n’avais plus d’yeux. »
Ainsi commence l'ouvrage de Robert Roman que publient les éditions du Port d’Attache et l’on est tout de suite plongé dans un livre peu ordinaire, à mi-chemin entre l’écriture automatique et le collage, le récit de rêves et la dérive pataphysicienne.
Entre les gonds est un recueil de proses poétiques ou plus exactement de « proses électriques », pour reprendre les termes qu’emploie son auteur. Et Jacques Lucchesi, l’éditeur, souligne la tournure surréaliste de ce travail d’écriture: « On pourrait assez facilement y déceler l’influence de Lautréamont et d’Henri Michaux, mais aussi de Gaston Chaissac, peintre brutiste et poète fertile ».
En effet, Chaissac, le peintre-poète-épistolier vendéen, inventeur de la peinture rustique moderne, est subtilement évoqué dans un récit intitulé « Monologues abstraits ». « Il réside maintenant au paradis des épluchures. Ses lettres sont comme des papillons qui s’échappent de la bouche de moribonds. » C’est joliment dit.
On retiendra aussi ce portrait onirique du roi du rock’n’roll: « Cette nuit, un Elvis blond de 1956 chantera pour moi en balayant les déchets du port en noir et blanc. Il remuera les jambes comme avant et me donnera envie, encore, de sourire au passé. » Pas étonnant lorsque l’on sait que Robert Roman a retracé avec ferveur l’histoire du King dans un livre de 2017, Elvis Presley, une flamme éternelle.
Robert Roman est un rêveur impénitent, un adepte des solutions imaginaires. Rêver pour fuir ce monde. Rêver pour supporter l’infâme. « S’en aller vers le haut. Les laisser seuls, cloués au sol. Hébétés, jaloux, rageurs ou inertes; barricadés à l’intérieur des cloitres mous, la tête aspirant le bol. » S’en aller bien plus haut. Atteindre les terrasses supérieures. Jusqu’à finalement « se dissiper parmi les nues». Cette sortie vers le haut, cette fuite finale, Robert Roman nous la raconte avec émerveillement. Calmement, tranquillement, sans sortir de ses gonds.
B.S.
Entre les gonds, proses électriques, par Robert Roman, éditions du Port d’Attache (7, rue de l'église St-Michel 13005 Marseille).
Robert Roman
Robert Roman écrit des poèmes (Poétiquement incorrect, 2014, Pensées ultérieures, avec des images de Matt Mahlen, 2020); des récits de rêves (Fragments nocturnes, 2016) et des biographies (Pascal Ulrich, le rêveur lucide, 2014, Elvis Presley, une flamme éternelle, 2017, Gérard Lemaire, un poète à hauteur d’homme, 2019).
Il anime les éditions du Contentieux (7, rue des Gardenias, 31100 Toulouse), ainsi qu’une revue de poésie, Wam!
Il a fondé l’association « Bakou 98 », qui a pour but de faire vivre l’oeuvre écrite et picturale de Pascal Ulrich.
Avec Robert Roman à Coutances, juillet 2020. Let the good times roll! |
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