Guy Allix à Bazouges-la-Pérouse, devant la maison d'Angèle Vannier. |
J’avais 27 ans et le hasard, ma
bonne étoile, m’avait envoyé à Saint-Lô, où j’avais été embauché comme localier
dans un journal qui s’honorait d’avoir offert ses colonnes à Jean Follain,
l’auteur de Canisy, le chantre du
pays saint-lois d’autrefois. Je pensais bien ne pas m’attarder sur les bords de
la Vire, mais la vie, qui regorge toujours de surprises, en décida autrement.
Guy Allix était un jeune prof de
collège et il tenait la rubrique de poésie dans le journal concurrent, qui plus
tard deviendra le mien. Il était déjà l’auteur de deux beaux livres de poésie, La tête des songes et L’éveil des forges, à l’enseigne de
L’Athanor. Je venais moi-même de publier mon premier recueil et nous ne
pouvions que nous entendre. J’étais subjugué par l’enthousiasme de mon nouvel
ami : Guy semait ses poèmes à tout vent et sa poésie me parlait. Elle
était complexe, sincère, singulière. Et quelle force!
« Je prends
sur moi de vivre et de rêver
De vivre fou
Puisque la folie
est de vos bêtes féroces
De vivre enfant
Puisque l’enfance
est de vos os
Jetés à la
poubelle
Folie
Je t’ai déterrée
Avec tout ton sang
sur les épaules
Liberté
Je te braille de
mon berceau »
Ensemble, nous avons commencé à
jouer aux dès avec les mots et ce dialogue n’a cessé de se densifier au fil des
ans.
A partir de 1984, Guy fut
accueilli à bras ouverts par Rougerie, l’éditeur de Mortemart qui publiait
depuis trente ans, à l’ancienne, des livres magnifiques, non massicotés, tout
de suite reconnaissables à leur couverture blanche ornée d’un titre sobre aux
lettres rouges. Un éditeur honnête, fidèle à ses auteurs et à l’écoute de
nouvelles voix.
René Rougerie ouvrait sa maison
à un jeune poète qui lui plaisait: l’œuvre de Guy Allix était fragmentaire,
épurée, concise, elle était surtout un appel à l’essentiel. Son écriture, sobre
et noire, était toute tendue de questions. Obsédé par « l’imprononçable
silence », il écrivait « dans la faiblesse et le dénuement ».
Chez lui, chaque mot était pesé.
« Seul compte
ce qui ne s’attend pas.
*
C’est dépassé par
tes mots, par ton souffle, c’est dominé par ta parole que tu te prononces.
*
Il suffit parfois
d’un mot pour que tu habites le monde.
*
N’être en nul lieu
que l’absence. Là où s’étire le sang.
*
Le poème qui dit
douleur dit vivre. »
Guy Allix dit à la fois la
jubilation et la souffrance que lui procure la création poétique. Une poésie
qu’il faut arracher à la vie, où les mots travaillent la mort et où nul miracle
n’est possible sans une certaine humilité.
Indubitablement, cette humilité
vient du pays de son enfance : Douai, où il où il est né en 1953, le Nord, les
terrils et la misère, qu’il évoque avec une émotion contenue dans son recueil
de 1993, Lèvres de peu :
« Ce pays se sculptait avec
la sueur. Le travail des hommes l’habitait tout entier
*
C’est là que j’ai appris
l’humilité, que j’ai appris à m’enfoncer dans la terre.
*
Ce pays donnait le Nord
La peau y trouvait sens
Aux pavés des chemins
Se dessinait le tremblement de
vivre. »
Dans Solitudes, un livre capital paru en 1999, on goûte la quintessence
de sa poésie. Il y dit sa douleur d’écrire : la douleur, l’épuisement, la
blessure, « cette plaie dans la béance du monde » :
« Ecrire quand ce n’est plus possible. Sur cette déchirure.
Dans l’horreur de l’absence.
Ecrire ces mots qui usent comme l’amour. Qui épuisent le
sang. »
La douleur au ventre, avec des
mots simples et fragiles, toujours prêts à se déchirer et à s’effacer, Guy
Allix décrit ce silence blanc qui préside à son inspiration :
« Il n’y a rien parfois que cette plaie plus vive. Ces mots
blessés dans la nuit et qui travaillent à la plus juste perte.
Cette petite flamme qui expire au creux du corps. »
Sa saison à lui, c’est l’hiver,
saison de « l’inadmissible lucidité ». Déraciné, le poète éprouve ce
manque au plus profond de son être. Son désespoir engendre la solitude et
persiste « dans la déchirure ultime de chaque instant ».
La singularité de l’écriture de
Guy Allix vient de la douleur de l’enfance. Il écrit pour retrouver en lui
cette déchirure. Un combat vital, qu’il
montre de façon poignante, dans un livre comme La poésie est mon seul courage, publié au Nouvel Athanor:
« S’effacer simplement
Sans laisser que ces traces ici
Sang déjà séché
Déchu dans le noir
Couler jusqu’à l’absence de
couleur
*
Tu te raccroches à peu de choses
Toujours
La branche d’un sourire
Au bord de l’irréparable
Où tu plonges déjà
*
Ce regard vide
Et toi si peu
Devant tout cela
Qui t’assiège
Te possède
Tu crois encore parfois à la vie
Le temps d’un rêve
Ou d’une caresse
Et tu redresses le courage
En attendant l’épreuve
ultime »
Se sentant en exil sur cette
terre, Guy Allix s’est engagé dans un combat qui consiste à affronter les mots
à mains nues. A Saint-Lô, il n’est pas resté longtemps. Sans lui, dans cette
ville paisible et endormie, il est devenu un peu plus difficile de vivre en
poète. Heureusement, depuis 40 ans, dans la Bretagne morbihannaise ou au
Printemps de Durcet, nos pas n’ont cessé de se recroiser.
Et voilà que dans ses derniers
poèmes, a surgi un hymne à l’amour vibrant, flashant, qui m’a fait sauter de
joie. « Aimer, c’est toujours manquer de mots », écrit-il dans Oser l’amour, un recueil composé au
plomb par Jacques Renou à l’Atelier de Groutel. Un petit livre superbe, fait
main. Une typographie au plomb sensuelle et extrêmement soignée, qui lui
convient à merveille.
« Aimer c’est toujours
manquer de mots. Aussi, le poème d’amour n’est que l’ombre de l’amour. Il est
le risque même. Autant dire l’impossible.
*
Tu es présente
Et j’aime ce hasard
Qui nous a mis face-à-face
A jamais
*
Je n’étais vrai que sur le bord
Toujours à deux doigts de vivre
Et de crier
Je partirai
Avec ton regard dans les yeux
Osant dire ton nom à jamais
A la face du monde
Osant dire l’amour qui brûle les
mots
*
Il y aura un peu de sang
Sur le bord
Un peu de sang pour crier
Comme on crie tout au bout
Et ce sera vivre enfin »
Sauvée par la force d’aimer, la
voix de Guy Allix reste fragile : « Aimer, c’est savoir qu’un jour,
peut-être, l’amour aussi sera cendre. » Sa parole est toujours fragile et
écorchée, mais elle brûle d’un feu intérieur intense. Elle regorge de lumière.
Elle fait naître un monde, elle est la promesse d’un espoir.
Bruno Sourdin
Guy Allix et Bruno Sourdin: 40 ans d'amitié, ça se fête! |
(Publié dans la revue Chiendents n°126, Editions du Petit
Véhicule, Nantes, février 2018)
Choix bibliographique:
Aux
éditions Rougerie : Mouvances mes mots, 1984 ; Lèvres de
peu , 1994 ; Le Déraciné , 1997 ; Solitudes, 1999 ; Survivre et
mourir 2011.
Aux
éditions Le Nouvel Athanor : Guy Allix, choix de textes, 2008 ;
Le sang le soir, 2015.
A
l’Atelier de Groutel : Oser
l’amour (autres extraits), 2010), Le Nord 2010
Aux Editions Sauvages, Correspondances, recueil
à deux voix avec Marie-Josée Christien, 2011) ; Maman, j’ai oublié le titre de notre histoire, suivi de Félix, une histoire sans parole (récits
autobiographiques), 2016) ; Au nom de la terre, 2018.
En préparation aux éditions Unicité: En chemin avec Angèle Vannier, essai, 2018.
En préparation aux éditions Unicité: En chemin avec Angèle Vannier, essai, 2018.
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