20/04/2017

Les magnifiques fulgurances de Marie-Josée Christien

Marie-Josée Christien: une poésie toute intérieure, habitée de magnifiques fulgurances.



J’ai découvert l’œuvre poétique de Marie-Josée Christien dans un petit livre magique, publié il y a un peu plus de 10 ans à Vannes. Il était intitulé Sentinelle. J’aimais bien le titre et j’ai tout de suite été conquis par cette voix de femme, simple et claire, qui vibrait d’un éclat secret : « Le sombre du soir/ habille de sentinelles/ les silences/ entre les mots ». C’était superbe. J’étais fasciné par cette poésie toute intérieure, habitée de magnifiques fulgurances, qui disait à merveille l’esprit sauvage que nous portons tous en nous, peu ou prou. Ce recueil était hanté par les silences, par « le froissement intime de l’invisible ». Il m’allait droit au cœur. J’aimais beaucoup ce ton. Je l’aime toujours.

Deux ans plus tard, avec Entre-temps, j’ai été heureux de retrouver le charme fascinant de son écriture. Elle excellait dans l’évocation des paysages d’hiver, la saison où la terre se durcit, où les arbres se figent, où « le soleil éparpille/ le frisson noir du corbeau/sur la neige». L’hiver, c’est la saison de la lucidité, du retour sur soi, celle où la présence de la mort se raffermit, où le poète sent le vent se jeter sur ses épaules « comme un linceul » et tremble d’exister. Temps du deuil mais aussi temps de l’éblouissement et de la célébration du ciel et de la terre.

Je trouve superbe le travail d’écriture de Marie-Josée, qu’elle explique d’ailleurs le plus simplement du monde : « Je creuse les mots/ qui tiennent en éveil/ au bord de la falaise ». Simplicité, densité et attention à chaque vibration de vie. « Quelque chose ici/ se murmure/qui échappe à la mort ».

Ancrée dans sa terre natale, la Cornouaille morbihannaise, la poésie de Marie-Josée Christien est ouverte sur le monde, comme celle d’Armand Robin, dont elle aime recommander la lecture. Elle aussi englobe tous les mouvements de l’univers, car la Bretagne, c’est un univers. « Je suis à terre/ au milieu des mondes/ qui se superposent », écrit-elle dans L’archipel intérieur. C’est aussi ce voyage entre l’intime et l’universel qui me fascine durablement chez elle.

« La nuit bouscule ses étoiles », écrit-elle dans Les extraits du temps. La terre est « devenue comme un pierre. Des yeux cherchent éperdument dans le noir. Lorsque s’ouvre une fenêtre, c’est l’espoir qui renaît, le courage qui nous soulève, « quelque chose nous fait trembler ». Dans ce royaume des ombres, le poète s’entête à explorer les rêves des hommes et à leur poser d’incessantes questions, « car questionner reste l’essence de notre espèce ».

Marie-Josée Christien réussit parfaitement à reconstituer la transparence de l’instant. J’aime cette voix âpre et lumineuse, simple et complexe, minérale et sauvage, cette parole lapidaire qui m’accompagne comme le frisson noir du corbeau sur la neige.

Bruno SOURDIN.


Marie-Josée Christien, poète et critique, vit à Quimper (Finistère). Elle est responsable de la revue "Spered Gouez / l’esprit sauvage" qu’elle a fondée en 1991. Lauréate du prix Xavier-Grall, elle a publié une vingtaine d’ouvrages, dont Lascaux & autres sanctuaires (Jacques André Editeur), Conversation de l’arbre et du vent (Tertium éditions), Les extraits du temps (Les Editions Sauvages), Correspondances (recueil à deux voix avec Guy Allix, Les Editions Sauvages),  Petites notes d’amertume (Les Editions Sauvages).


La revue Chiendents (Editions du Petit Véhicule) a consacré son numéro 118
à Marie-Josée Christien, "La poésie pour viatique".

Le sombre du soir
habille de sentinelles
les silences
entre les mots

j'interroge
les jours de patience
où les présages balbutient.

(Sentinelle, Citadel Road Editions, 2002)



La présence d'un temps sans âge
murmure
en ses tressaillements

Goutte après goutte
me parvient
le grand silence nomade
l'éphémère passage de tant d'éternités.

§

Dans l'étreinte des origines
de ses secrets murmurés
lorsque tremblent ou se figent
les signes morcelés

un instinct de lumière
nous parvient.

§

La pénombre de Lascaux
entrevue
et signe
la permanence
de notre race si vieille

Son obscurité
éveille des échos lumineux
apprivoisés
par intermittence.

(Lascaux et autres sanctuaires, Jacques André éditeur, 2007)



Mémoire
de la terre embrasée
la pierre suspend
les impatiences

j'attends
que se développe lentement 
une parenthèse de sérénité
où les mots 
polissent leur vérité

pierre après pierre.

(Pierre après pierre, Editions Les Chemins Bleus, 2008)



Le vent et l'arbre
bavardent
en secret

Ils parlent de printemps

§

L'arbre
abri du vent
toujours insaisissable
fait corps
avec ce qui lui échappe

C'est toute la terre
qui se hisse
vers les étoiles.

§

A la cime de l'arbre
le vent ouvre
l'envol des oiseaux
sous le passage des jours

furtif passant
à la croisée
du ciel et de la terre.

(Conversation de l'arbre et du vent, Tertium éditions, 2008)



La nuit bouscule ses étoiles
Il pleut du sable et du coton
Le silence
tisse ses soupirs
il cherche ses alliés.

§

Barnenez  *

Je sens la pierre
la terre une fois de plus
indubitables
le plus beau monument humain
le plus majestueux
le plus simple

comme si une beauté très lointaine
m'était enfin rendue
sans que je puisse comprendre davantage.

* Cairn à Plouezoc'h dns le Finistère

§

La mort même paraît vaine
devant ce qui se plie et déplie
Tout s'allonge lentement
jusqu'à disparaître
au ras du sol

Les progrès n'existe pas
Aucune réponse définitive
à nos questions

Mais questionner reste l'essence
de notre espèce.

 §

Rien n'est plus sacré
que notre énigme
enfouie dès l'origine
au plus profond de notre espèce

Inutiles témoins de l'astre refroidi
nous voici
pour être et disparaître.

(Les extraits du temps, Editions sauvages, 2009)


Marie-Josée CHRISTIEN.


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