Né à
Douarnenez en 1942, Jean-Pierre Le Goff s’était lié, en venant à Paris, avec
les membres du groupe surréaliste. Il aimait scruter et susciter les
coïncidences et les rencontres. Au moyen de feuilles volantes, il invitait
régulièrement ses amis à le rejoindre dans des lieux insolites, où il aimait, à
l’image de l’initiation surréaliste, traquer les correspondances et les signes
et célébrer la toute puissance du merveilleux.
J’ai
commencé à recevoir ses invitations en 1993. Elles arrivaient sous forme de
petites feuilles de couleur ordinaire, au rythme de 5 à 7 envois par an. Elles
étaient toujours surprenantes et génératrices de beauté. Ainsi, lorsque
Jean-Pierre Le Goff invitait ses correspondants à lui envoyer un mot de la
langue française qui résonne avec le mot « perle », il attendait,
pour clore le jeu, que le nombre de réponses atteigne 264, qui est le nombre de
perles du collier de Louise Brooks.
Quelques
mois plus tard, il suggère à ses amis épistoliers de lui faire parvenir le
cliché d’un coucher de soleil sur la mer. Il peint un point vert sur chacun des
366 clichés qu’il a reçus, les expose sur la digue de Gravelines et invite ses
correspondants à venir y apercevoir un rayon vert au moment de la disparition
du soleil à l’horizon.
A Paris,
en février 1994, il lance ses détectives dans un étonnant jeu de piste (ou, si
l’on veut, jeu de boules) qui débute près de la Samaritaine, dans le rue des
Deux-Boules, se poursuit vers la Bastille dans le passage de la Boule-Blanche,
puis jusqu’au Cirque d’Hiver par la passage du Jeu-de-Boules. Magnifique
tentative pour révéler la magie d’une ville, privilégier les rencontres
imprévues et placer ses compagnons de mystère à l’affût d’une révélation
subite.
Les
invitations au voyage de Jean-Pierre le Goff procuraient des sensations proches
des rêves. En les découvrant, j’ai souvent pensé à cette affirmation d’André
Breton dans L’Amour fou :
« La trouvaille d’objet remplit rigoureusement le même office que le
rêve. »
En 1996,
je l’avais interviewé pour le fanzine Le
Tamanoir :
Le Tamanoir : A combien de personnes
envoyez-vous vos « petits papiers » ? Beaucoup de vos lecteurs
réagissent-ils ? Vous écrivent-ils ? Sont-ils nombreux à se déplacer
aux rencontres que vous leur proposez ? Qu’est-ce qui, à votre avis, les
unit ?
Jean-Pierre Le Goff : J’envoie me feuilles volantes à
300 personnes. Pour éviter de les envoyer à des personnes que cela
indiffèrerait, je demande une provision de dix enveloppes timbrées, libellées
au nom du destinataire. Sans ce dispositif, je serais à 700 envois, ce qui
serait matériellement très difficile. Les destinataires de mes papiers
réagissent à mes diverses propositions suivant leur nature. Ils répondent à mes
invites selon le plaisir qu’ils y trouvent et selon la complexité des demandes.
Ainsi, certaines sollicitations me valent d’abondantes réactions et d’autres ne
sont que filets d’eau. Les rendez-vous que je fixe peuvent faire se déplacer un
nombre de quelques personnes, jusqu’à 50 pour l’instant. Cela dépend à la fois
de l’intimité de l’acte et de la facilité à gagner le lieu choisi. Je crois que
mes correspondants réagissent par résonance à mes propos. Ce qui les unit c’est
donc cette filiation d’échos qui s’est établie. Même si chaque personne a son
propre mode d’inscription dans mes histoires, l’ensemble des accueils et des
réactions forme un tout.
Le Tamanoir : En recevant vos lettres, je ne
peux m’empêcher de penser aux surréalistes et à la façon magique qu’ils avaient
d’investir un lieu. Vous sentez-vous proche de leur démarche ? Avez-vous
fait partie du groupe ?
Jean-Pierre Le Goff : Je me suis reconnu dans les
valeurs du surréalisme. J’ai fréquenté le groupe jusqu’à sa dissolution en
1969.
Le Tamanoir : Comment faites-vous le choix d’un
lieu où intervenir ?
Jean-Pierre Le Goff : Le choix du lieu s’opère suivant
la nature de mon propos. Il peut répondre aux conditions nécessaires de mon
acte. Une invitation peut le déterminer. Je peux l’élire par son nom, par la
particularité que son territoire présente, etc. Jouent dans mon choix donc le
hasard et l’opportunité poétique.
Le Tamanoir : Vous semblez plus attiré par la
campagne que par la ville. Comment définir le type de lieu qui vous
inspire ?
Jean-Pierre Le Goff : Je ne suis pas plus attiré par la
campagne que par la ville. C’est l’esprit de mes parcours (géographiques et
temporels) qui révèle l’esprit des lieux qui me font signe.
Le Tamanoir : Je me souviens d’une très belle
proposition de dérive dans les rues de Paris, sur le thème de la boule.
Rééditerez-vous ce genre d’invitation citadine ?
Jean-Pierre Le Goff : Oui, si un thème cristallise.
La Tamanoir : Depuis combien de temps
menez-vous cette démarche épistolaire ?
Jean-Pierre Le Goff : Depuis 1985, mais elle devint
plus active à partir de 1989.
Le Tamanoir : Comment qualifiez-vous votre
travail ?
Jean-Pierre Le Goff : Tout simplement de poésie en
acte.
Le samedi
6 juillet 2002, j’eus la joie de l’accueillir chez moi, à Saint-Lô, dans la
Manche. De là, nous avons gagné le village voisin de Canisy, où était né Jean
Follain. Jean-Pierre avait en effet croisé deux textes, l’un du poète normand,
l’autre d’Ernst Jünger, qu’il avait lus, par une curieuse coïncidence, à 24
heures d’intervalle, et qui se rejoignaient
dans l’évocation de lueurs mystérieuses.
Voici le
récit de Follain : « J’étais
dans le parc avec mon grand-père paternel et parrain quand j’aperçus au ciel
deux grands disques, l’un vert et l’autre rouge, qui se multiplièrent autour du
soleil. Le juge de paix prétendit que la cause du phénomène était un
tremblement de terre en Angleterre . Par la suite, j’ai tenté sans succès
d’identifier cet événement. Il ne dut pas impressionner les bêtes. Les vieilles
femmes n’en parlèrent pas trop, réunies le soir sur les seuils pour manger la
soupe où le pain recuit voisinait avec les légumes couleur de corail, d’ivoire
et d’émeraude, alors que les pluies d’étoiles filantes sillonnaient l’horizon. »
Dans Le Cœur aventureux, Jünker rapporte un jeu de lumière semblable et
décrit « les habitants d’une ville
s’entretenir sur les seuils des portes de choses inconnues ».
Pour
célébrer ces rencontres de lumières, Jean-Pierre Le Goff se rendit sur le seuil
de la porte de la maison où habitait Follain. Il y déposa deux pommes, une
rouge et une verte, celle du soir et celle du matin, « en écho, précisa-t-il,
aux événements lumineux passés et à venir qui me donneront le goût de
rêver ».
La maison de Canisy où habita Jean Follain. |
Une pomme rouge et une pomme verte ont été déposées sur le seuil de la maison. Celle du soir et celle du matin. |
De Canisy, nous avons gagné ensuite petit village de Ger, dans le Mortainais. Pourquoi Ger ? « Croiser le regard sur rouge et vert et vous apercevrez une grue et un orvet, ou encore une tour au-dessus d’une grève. Cela vous donnera le goût de rêver », explique-t-il. Ainsi avait-il décidé de déposer une pancarte à Ger et, quelques semaines plus tard, une autre à Trévou (dans les Côtes d’Armor), « puisque les noms de ces villages forment une anagramme avec rouge et vert ».
Fixant mentalement les mots rouge et vert, il les avait vus se recomposer en goût et rêver. « Ce goût de rêver, moteur de mes actions, m’a amené à vouloir matérialiser cette métamorphose dans deux lieux qui seraient anagrammatiques à rouge et à vert. »
A Ger, Jean-Pierre Le Goff a déposé sa pancarte "Trévou, Ger. Le goût de rêver". |
Une
partie des « feuilles volantes » de Jean-Pierre Le Goff ont été
réunies par les éditions Gallimard dans Le
Cachet de la poste (2000). Les éditions du Crayon qui tue ont publié Du crayon vert au crayon qui tue (2001),
L’écriture des fourmis (2003), ainsi
que Les Abymes du Titanic (2006), son dernier ouvrage, dans lequel il
évoque le drame de la mer le plus connu du XXe siècle et, en parallèle, le
destin de son père, marin perdu en mer en 1945.
Jean-Pierre
Le Goff est décédé le 26 février 2012. Il a été inhumé au cimetière de Ploaré à
Douarnenez. Ses archives ont été confiées à la bibliothèque de Brest.
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