« Un
Italien de la Renaissance, à l’allure patricienne et loin du siècle. » C’est
en ces termes que Jack Kerouac dépeint le poète Philip Lamantia, au cœur de San
Francisco, sous les traits de Francis Da Pavia, dans son roman Les Clochards célestes. A la même
époque, dans une lettre à Allen Ginsberg, il raconte une visite qu’il fit, en
compagnie de son pote de vagabondage Neal Cassady, dans un ancien petit château
qui surplombe Berkeley. Lamantia était allongé sur un somptueux canapé et
lisait Le Livre des morts égyptiens.
Kerouac dit de lui-même et de son compagnon Neal : nous étions « comme
deux paysans des montagnes accueillis par les nobles du coin dans le château
pour bavarder avec eux toute la nuit ».
C’est
peu dire qu’à San Francisco Philip Lamantia a exercé une véritable fascination
sur les poètes new yorkais de la Beat Generation. En 1955, très cool et dans le
coup, Lamantia avait déjà, à 28 ans, une grande expérience de l’écriture. Né en
1927 de parents italiens émigrés de Sicile, il avait eu, à 15 ans, la
révélation du surréalisme en découvrant l’œuvre de Joan Miro au Musée d’art de
San Francisco. C’était cela qu’il voulait faire en poésie…
D’une
précocité prodigieuse, il se lance dans l’exploration de l’inconscient et
commence à écrire une poésie tournée vers l’inconnu, le rêve et le merveilleux.
André Breton, qui était réfugié à New York, ne s’y trompe pas et salue en lui « une
voix comme il s’en élève une fois par siècle ». En dépit de son très jeune
âge, en 1943, Philip Lamantia quitte tout et s’embarque pour New York, où il va
côtoyer les surréalistes en exil et publier ses poèmes dans la revue VVV que dirige Breton.
Après
la guerre, il retourne à San Francisco et se lie avec Kenneth Rexroth et à son
cercle anarchiste libertaire. Passionné par la magie, l’ésotérisme et l’expérience
hallucinogène, il s’initie dans les années 50 aux rites indiens, expérimente le
peyotl avec les Indiens Washo du Nevada et voyage au Mexique, au Maroc et en
Europe.
Lamantia
a fait le lien entre le surréalisme français et la contre-culture américaine,
bien qu’il ait toujours refusé qu’on le classe comme un poète Beat. Il a eu une
énorme influence sur Allen Ginsberg qui, avant de le rencontrer à San
Francisco, écrivait encore de la poésie assez conventionnelle.
Ce
chercheur passionné s’est éteint en mars 2005 dans son appartement de North
Beach qu’il ne quittait plus guère. Il avait 77 ans. « Philip était un
visionnaire comme Blake, il a vraiment vu le monde entier dans un grain de
sable », note avec justesse Lawrence Ferlinghetti, le fondateur des éditions
City Lights Books, qui a publié quatre de ses livres de poèmes. Le manuscrit de
Tau, qui date des années 50, a été
découvert après sa mort et publié par Nancy Peters en 2008.
B.S.
Coup de feu sur le soleil
Les
becs des sphères célestes se balancent sur la scène capricieuse.
Des
chrysanthèmes pulvérisent les lions de marbre
Le
champ de soucis se déverse
Dans
les hiéroglyphes solaires.
On a trouvé l’Oiseau,
RA
Dans
une perle du désert
Vibrant
– silencieux – lumière violette
Tanguant
dans une mer fébrile
Ecorce
coupée sur la montagne Cri :
Vincent a trouvé l’Oiseau.
Ranime
la voix de RA,
Provoque
des cris de guerre dans le vent où la Rose demeure
Antonin a épié l’Oiseau
En morceaux sur le bec d’une corneille.
Ne cherchez plus l’Oiseau.
Pour
gravir les Cités du Soleil
Le
poète au poisson échoué
Empale
les monolithes immergés,
Nous
avons entendu la voix déchirée
Dans
les couloirs de l’effroi et du désordre,
Des
doigts capricieux protègent le masque du temps
Où
un mur arrive enfin à renaître :
Le
voici, l’Oiseau Trouvé, voici RA.
***
Croûte terrestre degré garde le creuset
L’air cuit
A
travers l’espace : materia Immateria
X
la Pierre
et
la Terre de part en part,
Feu
Crépitements
en dessus et en dessous :
Eau montante
les
étoiles éclipsent la marée des mots.
Cet Œil (qui
me
sonde) Surgi de l’obscurité
Resté fidèle aux Enfers,
Illumine
De tout son éclat
Ô
temps pur fluide
Soleil
Char !
Chevauchant
les espaces
Est vu
pour voir
Emanations
Des
esprits radieux.
***
18 êtres humains et l’Autre
s’unissent
pour construire une maison à Dieu
et
la lumière qui ne se divise pas
pulvérise
les messagers de l’enfer
qui
hurlent des conneries à la face du jour.
Dans
l’homme existe secrètement l’Un
qui
ordonnera à l’eau
de
tout recouvrir
et
ordonnera au grand Vent
de
dompter l’eau
et
lui, qui est l’Un, est empli d’une lumière qui jaillit hors de lui
(Traduit de l’américain par Bruno Sourdin)
(Traduit de l’américain par Bruno Sourdin)
Philip Lamantia : Tau, City Lights Books, number 59
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