28/10/2025

La rencontre magique de Laszlo et Allen à New York dans la nef des fous


Laszlo Krasznahorkai.

Laszlo Krasznahorkai a été couronné du prix Nobel de littérature 2025. L’académie suédoise a ainsi voulu saluer « un grand écrivain épique » et récompenser « son œuvre fascinante et visionnaire qui, au milieu de la terreur apocalyptique, réaffirme le pouvoir de l’art ». Son quatrième roman, « War & War » (« Guerre & Guerre ») se situe à New York et c’est à New York, dans l’appartement de l’East Village d’Allen Ginsberg, qu’il avait travaillé sur ce roman.

 

Dans un poème de 1984, Allen Ginsberg se décrit lui-même faisant du Tai-chi dans sa cuisine, le seul endroit de l'appartement assez grand pour pratiquer sa gymnastique chinoise :

« Redresser le pied droit & le soulever - je me demande

si je n’aurais pas dû pousser le seau

à ordures -

Lever les mains & les ramener vers

les épaules - Serviettes et pyjamas

sèchent sur une corde dans le couloir »

Sur le mur, une peinture Hopi. Derrière la porte, « Seigneur

mon coin bureau, une pagaille de

photos, de courrier en retard -

Tourner à gauche sur les hanches - Dieu merci Arthur Rimbaud

me regarde par-dessus l’évier - » (1)

 L’appartement est une ruche bourdonnante. Allen y est rarement seul. C’est un va-et-vient incessant et le téléphone n’arrête pas de sonner. Allen est toujours disponible. Il est le bon Samaritain, accueillant, généreux, très ouvert, très communicatif. Il s’intéresse à tout et à tout le monde. Il est toujours animé d’un incroyable optimisme. C’était très facile d’être ami avec lui. Claude Pélieu, son traducteur français, nous répétait toujours : « Allen est le seul mec décent, honnête et juste dans la nef des fous. »


La cuisine d'Allen à New York.                                               (Photo  Steve Silberman)        

 
Allen Ginsberg.

Laszlo Krasznahorkai a séjourné dans cet appartement ouvert à tous les amis de passage : « L’appartement d’Allen était tout petit, avec des pièces minuscules et cette cuisine. » Laszlo et lui sont devenus amis au milieu des années 1990, dans les dernières années de la vie d’Allen.

 « Il vivait très modestement, se souvient l’auteur hongrois, mais sa porte était toujours ouverte, comme dans les années 1950. Les gens allaient et venaient. Si vous y restiez un certain temps, vous rencontriez inévitablement ses amis, des gens de la Beat Generation et de la scène new-yorkaise de l’époque. »

A New York, Laszlo était en train d’écrire « Guerre & Guerre » (2), mais ce n’était pas facile. Allen l’a beaucoup aidé à trouver pour son roman une technique, une manière de « construire un arrière-plan neutre », « une ville de New York très neutre ». Ce livre envoûtant raconte l'aventure d’un petit historien de Budapest qui découvre un jour un manuscrit oublié. Il s’en suit une course folle et c’est à New York, « au centre du monde », que cet homme excentrique décide de délivrer à l’humanité le message contenu dans ce manuscrit si mystérieux.

 « Il me fallait une ville neutre plutôt que la vraie, une New York sans couleurs, sans imprévu, sans mouvement », explique aujourd’hui Laszlo. Il lui fallait seulement des rues, des lieux, un hôtel, un appartement. Or, dans la réalité, New York n’est pas du tout une ville neutre. « J’ai discuté de ce thème avec Allen soir après soir et il m’a donné des conseils très intéressants. Allen était d’une sagesse absolue. Il m’a beaucoup aidé. »

 Lorsque Laszlo l’a rencontré, Allen Ginsberg avait réalisé que sa vie était pratiquement terminée (il est mort en 1997), mais, tient à préciser l’écrivain hongrois, « il ne cessait de donner ».

 Il se souvient particulièrement d’une soirée où David Byrne, le chanteur-leader des Talking Heads, avait invité chez le poète un groupe de musiciens indiens. « Nous nous sommes assis dans la cuisine. La table basculait, les chaises aussi, personne n’osait vraiment parler. » Finalement, Allen a décidé que l’on jouerait de la musique ensemble. Laszlo raconte : « J’ai utilisé le petit harmonium d’Allen, Allen a chanté, David a tambouriné sur la table. » Au bout d’une heure, alors que le groupe se levait pour partir, « Allen a attrapé un magnétophone posé sur un tabouret sous la table, en a sorti une cassette et l’a offerte. Il avait enregistré toute la conversation. C’était le plus beau cadeau qu’il pouvait leur faire. Il était comme ça, Allen. »

 Le poète roi de la bohème new yorkaise et le maître hongrois du récit apocalyptique ne pouvaient que se rejoindre, se reconnaitre, travailler ensemble dans la cuisine, créer un univers, jouer de la musique. Et devenir de bons amis.

Bruno SOURDIN.

 

(1)   « Dans ma cuisine à New York ». Allen Ginsberg : « Linceul blanc », Christian Bourgois éditeur, 1994.

(2)   « Guerre & Guerre », éditions Cambourakis, 2013.

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