18/10/2025

Janis Joplin, une vie d’ivresse et de fureur

"Janis", collage BS, 1998.                                                                                                                          

 

 


On ne comprend rien à Janis si on néglige le Texas. Port Arthur, la cité pétrolière où elle naquit et qu’elle détestait. Austin, où elle fut étudiante et où elle s’abreuva de liberté. Austin la douce, les rives du Colorado, Guadalupe Street. L’Université du Texas, où elle s’affranchit de toutes les règles. Janis la rebelle. Son grand rire. Ses grognements. Ses hurlements joyeux. Janis l’explosive. Tellement différente de toutes les jeunes femmes de son âge.

 

Janis Joplin était une nana comme ça. Rayonnante de joie. Une nana qui exultait, qui jubilait, qui cherchait toujours en toutes circonstances à ressentir la joie la plus intense. Goûter. Savourer. Jouir. Jouir en buvant ou en couchant. En buvant des litres de tequila ou de Southern Comfort. Jouir en sniffant ou en se shootant, en s’éclatant avec un nouveau garçon ou une nouvelle fille. Un désir insatiable de jouissance, tout le temps.

 

C’était une nana comme ça et c’est aussi comme ça qu’elle parlait d’elle : « J’étais une nana avec de grands yeux, un regard vif, sans aucun charme particulier, et plutôt rondouillarde. Ça ne me suffisait pas d’aller au bowling ou au drive-in. J’aurais couché avec n’importe qui, et pris n’importe quoi, et je l’ai fait. »

 

 

A Austin, elle se mit à chanter dans les bars de la ville, en s’accompagnant à l’autoharpe ou en se produisant avec les Waller Creek Boys, le groupe folk de son ami Powell St John. Forcément, elle chante surtout des classiques de hillbilly, même si le blues a sa préférence. Le blues de Bessie Smith, d’Odetta et de Leadbelly, qu’elle a découvert en faisant la tournée des bars en Louisiane, l’état voisin, plus libre, où elle aimait faire des escapades. La fête, la bringue, la boisson, le désordre, le fun… Ne jamais ralentir.

 

Janis : « On passait à la radio toute cette merde de musique des années 50 et cela me semblait tellement banal… Y avait rien de bon. Et puis j’ai entendu Leadbelly et ça a été comme un flash. »

 

C’est aussi à Austin que Janis, en se dégageant de toutes les règles, connut la pire des humiliations : les étudiants l’élurent « l’homme le plus laid du campus ». Une douleur qui ne l’a sans doute jamais quittée. 

 


La reine de la fête hippie

 

San Francisco. Les bars de North Beach. Les tribus de Haight-Ashbury. Janis Joplin, couverte de bijoux, est vite devenue la reine de la fête hippie. Tout de suite.

 

Elle fait sa première apparition sur scène le 10 juin 1966 à l’Avalon Ballroom. Avec cet extraordinaire groupe psychédélique que fut Big Brother and the Holding Company. Peter Albin à la basse, Sam Andrew et James Gurley aux guitares (ah, comment oublier les solos hallucinés de Gurley !), et Dave Getz à la batterie. Avant eux, elle n’avait jamais vraiment chanté avec un groupe électrique. Ce soir-là, elle était morte de trouille.

 

Janis : « Je suis montée sur scène, j’ai commencé à chanter… Quelle aventure, mon pote ! La musique résonnait, boum boum boum, tout le  monde dansait, et les lumières et moi debout, chantant devant un micro, hallucinée par tout ça. Ça m’a tellement branchée que j’ai dit aux autres que je restais. C’était trop, mec, je t’assure, ça m’a pris par surprise. J’avais rien prévu. J’avais jamais envisagé de passer ma vie assise dans des loges comme celle-là, je savais même pas que tout ça existait. »

 

Big Brother est un groupe très excitant, un de meilleurs de San Francisco à l’époque, avec Grateful Dead et Jefferson Airplane. Sur scène, Janis est un ouragan. Passionnée. Frénétique. Déchirante. En juin 1967, elle chante devant 70 000 spectateurs enivrés. C’est l’apogée du mouvement hippie. Cela se passe à Monterey. Avec Hendrix, Janis (qui n’avait pas encore enregistré de disque !) est la grande révélation de ce festival. Le retentissement est immédiat. Du jour au lendemain, sa voix est connue dans le monde entier. Sa popularité est fulgurante. Monterey est le début d’une gloire qui fut immense. Mais c’est en même temps comme un boulet et une chaîne qui vont s’accrocher à elle jusqu’à la fin.

 

« Quelque chose est venu et m’a attrapée

C’était comme un boulet et une chaîne

Chéri, c’est exactement ce que j’ai ressenti 

Chéri, et cela m’entraîne

Alors je me demande pourquoi, pourquoi, chéri, dis-moi pourquoi ?

Pourquoi la moindre chose à laquelle je m’accroche

Doit toujours mal tourner ?

Pourquoi, pourquoi, mon amour, dis-moi pourquoi ?

Pourquoi toujours et pour tout ? »

 

Ces paroles sont extraites d’une chanson qui s’appelle Ball and Chain. C’est un classique écrit par Big Mama Thornton. Janis l’a chanté depuis ses débuts avec Big Brother. La prise qui a été sélectionnée pour l’album Cheap Thrills a été enregistrée au Filmore. La voix de Janis y est hypnotique. Inoubliable. Ce grand blues désespéré lui allait vraiment comme un gant.



Elle s’enfonçait dans la drogue et la souffrance

 

New York. Le Chelsea Hotel, au 222 West de la 23e Rue, où ont séjourné William Burroughs, Allen Ginsberg et Gregory Corso. Patti Smith y vécut en compagnie de Robert Mapplethorpe. Le poète Beat français Claude Pélieu et sa femme Mary Beach vivaient dans la chambre voisine. Le poète gallois Dylan Thomas y mourut d’alcoolisme. Andy Warhol y filma ses Chelsea Girls en choisissant ses actrices parmi les pensionnaires de l’hôtel. Jimi Hendrix y descendit. Bob Dylan y signa sa sublime Sad Eyed Lady of the Lowlands. Leonard Cohen, quant à lui, écrivit Chelsea Hotel #2 en souvenir d’une nuit avec Janis.

 

Janis Joplin a débarqué à New York au début de l’année 1968 pour enregistrer un disque aux studios Columbia. Cheap Thrills, qui faillit s’appeler Sex, Dope and Cheap Thrills (sexe, drogue et émotions au rabais), pochette légendaire de Robert Crumb, fut un triomphe et la voix de Janis fut désormais connue dans le monde entier. Son nouveau manager, Albert Grossman, qui fut aussi celui de Dylan, du Band et de Mike Bloomfield, n’a qu’une idée : amener la chanteuse à se séparer de son groupe mythique californien, et à se lancer dans une carrière solo. Il finit par réussir. Janis forma le Kozmic Blues en décembre 1968. Finies les merveilleuses guitares psyché de Big Brother. C’est un nouveau projet musical qui émerge : des sonorités proches du label légendaire de la musique noire américaine, Tamla Motown, avec trompettes et orgue. Janis veut à ce moment-là se rapprocher des reines de la soul music, Aretha Franklin et Tina Turner. Mais le disque sera très inégal. Les musiciens étaient d’excellents professionnels, mais sans complicité véritable.

 

La tournée qui suivit fut très controversée, la prestation au festival de Woodstock désastreuse. Janis s’enfonçait dans la drogue et la souffrance.

 

Elle avait besoin de l’émotion d’un groupe soudé. Elle finit par la trouver avec le Full Till Boogie Band. Elle reprit alors son enthousiasme et sa pêche : « J’ai besoin de sentir un élan, car si moi je ne le ressens pas, il est certain que le public non plus. Ce nouveau groupe a du poids et une sonorité si solide que je peux vraiment compter dessus et comme ça je peux faire ce dont j’ai envie. »

 

Avec son nouveau groupe, à Los Angeles, elle enregistra Pearl, un vrai chef-d’œuvre, même si l’album est resté inachevé. On sait qu’elle n’eut pas le temps de mettre sa voix sur Buried Alive in the Blues, enregistré dans la nuit du 30 octobre 1970. Elle mourut à 1h 40 du matin d’une trop forte dose. Toutes les hypothèses ont été émises. On a dit que l’héroïne qu’elle s’injecta était d’une trop grande pureté. On a parlé de suicide, et même d’assassinat… 54 ans plus tard, le mystère reste entier.

 


Elle est morte en plein vol


Il faut jouir de la vie et Janis savait le faire. Jouir sans entraves. S’exploser. Bien sûr, il y avait les retours lamentables. La souffrance, la solitude. Ses amis l’abandonnaient. Janis tellement fatiguée de tous ses excès, foutue, le corps vieilli, en miettes.

 

Vieux complice de Janis, Jerry Garcia, du Grateful Dead, a su mieux que personne dire ce qu’il fallait dire, après qu’on l’ait retrouvée morte à 27 ans d’une overdose de morphine et d’héroïne, dans la chambre 105 du Landmark Hotel de Los Angeles.

 

Jerry Garcia : « La mort incombe à celui qui meurt. Nous allons continuer à vivre sans cette voix. Et ceux d’entre nous pour qui elle était importante devront se débrouiller sans elle. »

 

Et Jerry qui l’avait connue heureuse en Californie, Jerry qui mourut lui aussi d’une overdose, mais presque 30 ans plus tard, avait ajouté : « Elle avait choisi un chemin très dur, mais ça, c’était son choix à elle. Elle faisait les choses avec toute l’intensité dont elle était capable. Elle a fait ce qu’elle devait faire et puis tout a fini. C’est mieux qu’elle soit morte maintenant. Si tu connais quelqu’un qui est passé par là, qui est tombé dans la déchéance, devenu vieux, fini, sénile, tu peux comprendre ce que je veux dire. Janis a été comme une fusée. Elle est morte en plein vol. »

 

Quand elle faisait quelque chose, Janis le faisait à fond, comme personne d’autre n’aurait pu le faire. C’était quelqu’un d’authentique. Une femme crue, sincère, captivante et intense. Oui, Janis a vécu comme elle l’avait voulu. Une vie d’ivresse et de fureur. 

 

Bruno SOURDIN

 

 

 


Du Texas à la Californie sur la route de Janis

 




Jeanne-Martine Vacher a publié en 1998 un livre formidable sur Janis Joplin. Journaliste et productrice à France Culture, elle était partie aux États-Unis à la rencontre des proches de Janis, de ceux qui ont vécu, travaillé ou joué avec elle. On suit ainsi son parcours depuis le Texas jusqu’en Californie et à New York. Un grand reportage passionnant, qui dessine un portrait vivant, complexe et intime d’une star emblématique des années 60. Avec des témoignages sensibles et fidèles. Petit florilège. 

 

Jim Langdon, qui fut un des premiers beatniks de Port Arthur, a connu Janis en 1957 et l’a entendue chanter pour la première fois en public. Ce fut une véritable illumination. Il se souvient qu’avant de chanter elle aimait peindre. « Elle a toujours mis beaucoup de sérieux dans la pratique artistique. C’était une autre de ses facettes, elle aimait la fête, la boisson, le désordre et le fun de façon goulue, excessive, mais tout ce qui touchait l’art donnait lieu chez elle à une application extrêmement sérieuse, minutieuse, ordonnée. »

 

Powell St John a été son premier partenaire musical à Austin, « capitale mondiale de la musique vivante ». Son groupe s’appelait les Waller Creek Boys. « Lorsqu’elle projetait sa joie sur scène, elle était superbe. Janis, pour moi, c’est la fille du petit rire jeté à la fin de Mercedes Benz sur son disque Pearl. C’était une personnalité chaleureuse qui colorait son chant de sa joie et de son sens de l’humour, c’était une fille qui aimait les blagues même les plus mauvaises, les jeux de mots et les calembours, et Dieu sait qu’elle était très inventive dans ce domaine ! Elle y mettait toute sa joie de vivre. »

 

Lenore Kandel était une icône de la Beat Generation et du monde underground de San Francisco.  Kerouac l’appelle Romana Swartz dans Big Sur.  Elle est l’auteure de The Love Book, un livre de poèmes qui fut jugé obscène dans les années 60, mais qui la rendit célèbre. « Janis vivait trois fois plus vite que tout le monde, même si elle était profondément timide, sans assurance. (…) Elle était une bougie lumineuse, destinée à se consumer très rapidement. Je suis sûre qu’elle voulait ça avant tout. Sans doute est-ce pour cela qu’elle a tout donné d’elle-même, mais rien ne lui est revenu en retour. Je me souviens du moment de sa mort. Pour tout le monde, ce fut un tremblement de terre, une catastrophe. Moi, j’ai pensé, très sincèrement, que c’était bien comme ça. Si elle avait vécu, elle aurait eu des moments terribles, car rien n’aurait pu répondre à ses attentes, jamais. »

 

Joe McDonald était le chanteur et leader du groupe psychédélique Country Joe and the Fish, célèbre pour avoir fait scander le mot « Fuck » par les 500 000 festivaliers de Woodstock. « Avec moi, elle était drôle, charmante, tendre et très douce. Cela peut paraître incongru d’utiliser ces mots à son propos, mais c’est la vérité. Il y avait d’un côté la chanteuse, avec cette voix extraordinaire, hurlante et grinçante, rauque, funky, enracinée dans le folk, une chanteuse qui incarnait beaucoup des révoltes de notre génération, et puis il y avait l’autre Janis, celle que j’ai connue dans l’intimité, celle qui pouvait être traditionaliste comme l’était sa famille dont elle me parlait beaucoup d’ailleurs. Il y avait encore une autre Janis, celle qui était pleinement libre d’elle-même, agressive, profondément bisexuelle, puissante. »

 

Myra Friedman a été l’attachée de presse de Janis et sa meilleure amie new-yorkaise, avant de devenir sa biographe : « Janis n’était pas belle et n’avait pas de classe, mais elle avait du style. Un style très truculent, dépourvu d’inhibition. L’absence d’inhibition ne constitue pas, en soi, une source de charme obligatoire : le poète beat Gregory Corso, connu pour ça, débarquait chez vous et pissait tranquillement sur votre tapis. Bref, il n’était peut-être pas inhibé, mais tout le monde le détestait… Janis, elle, combinait une grande liberté de comportement à un charme inexplicable, un charme qui venait peut-être de son immense disponibilité émotionnelle, d’une façon immédiatement lumineuse qu’elle avait d’aimer ou de ne pas aimer et de l’exprimer très directement. Et puis son rire… »

 

Richard Goldstein, critique rock au Village Voice, est une figure new-yorkaise du Nouveau journalisme. Il se souvient très bien lui aussi de Janis, laissons-lui le mot de la fin : « Lorsqu’elle est morte, je me trouvais à Fire Island, sur un bateau, et quelqu’un en face de moi lisait un journal. Soudain, j’ai aperçu le gros titre, en première page, et ça m’a sonné, il annonçait la mort de Janis… J’ai eu la sensation brutale que les sixties venaient de mourir avec elle, que tout était fini ! »

 


Jeanne-Martine Vacher : « Sur la route de Janis Joplin », éditions du Seuil, 1998 ; réédité aux éditions Le Mot et le Reste en 2019.



Catalogue d'une expo de mail art, Agneaux, 2000.          



 


 

 

Pour Janis Joplin & Michael McClure

Seigneur ! Achète-moi une voiture électrique !

Seigneur ! Achète-moi une boîte de préservatifs !

Seigneur ! Achète-moi une centrale nucléaire !

Seigneur ! Achète-moi un politicien !

Seigneur ! Achète-moi un kilo de maïs transgénique !

Seigneur ! Achète-moi une mine anti-personnel !

Seigneur ! Achète-moi un peu de crack !

Seigneur ! Achète-moi un cd de Céline Dion !

Seigneur ! Achète-moi une biographie de Monica Lewinski !

Seigneur ! Achète-moi un portrait de Lady Di !

Seigneur ! Achète-moi un gros pentium !

Seigneur ! Achète-moi un nuage de pluie acide !

Seigneur ! Achète-moi une station off-shore !

Seigneur ! Achète-moi un roman de James Ellroy !

Seigneur ! Achète-moi un clone de mouton !

Seigneur ! Achète-moi un souvenir de l’an 2000 !

Seigneur ! Achète-moi un camescope !

Seigneur ! Achète-moi une greffe du cœur !

Seigneur ! Achète-moi un trou d’ozone !

Seigneur ! Achète-moi un week-end à Kinshasa !

Seigneur ! Achète-moi un nuage de dioxine !

Seigneur ! Achète-moi une tranche de vache folle !

Seigneur ! Achète-moi un paquet de sicav !

Seigneur ! Je compte sur toi !

                                            Lucien SUEL

 

 

Janis à la fenêtre

Janis à la fenêtre

Janis au milieu du vacarme

Janis dans le jardin

Janis et Peggy sous le porche à 6 heures du soir

Janis devant sa glace

Janis haussant les épaules

Janis allongée sur le lit

Janis veillant jusqu’à laube

Le mantra de Janis

Janis repartant de zéro

Janis sur la passerelle dembarquement

Janis lair interloqué

Janis débouchant une bouteille de vin

Janis le sourire aux lèvres

Janis s’ébattant dans leau

Janis nue descendant lescalier

Janis lair si las

Les mains vides de Janis

Janis devant la porte de la chambre 105

                                            Bruno SOURDIN

 

 

 

 





 

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