Malcolm de Chazal. |
Les arbres étaient ses amis. Enfant, Malcolm avait l’habitude de les serrer dans ses bras. Les arbres, mais aussi les fleurs, les coraux… Tous ces êtres sont vivants et il les aime avec autant d’amour qu’il aurait aimé un être humain. Cet état d’enfance, Malcolm le conservera toute sa vie.
Un jour qu’il se promène dans le jardin botanique de Curepipe, il voit une fleur et il se rend compte qu’en fait c’est la fleur qui le regarde, c’est la fleur qui lui parle, la fleur qui devient subitement un être. C’est une révélation, un éclair poétique, ce sera le credo de sa vie.
« Pour la plupart des hommes, vivre c’est mourir à petit feu. Pour les grands vivants, c’est brûler jusqu’à la mort. » Poète, philosophe, mystique, Malcolm de Chazal est né le 12 septembre 1902 à l’île Maurice. Il descend d’une vieille famille française qui s’est établie sur cette île de l’Océan Indien en 1760.
En 1947, Gallimard publie "Sens plastique", un ouvrage d’aphorismes qui le révèle et qui fait sensation dans le monde littéraire parisien. Jean Paulhan salue « un art qui mérite, je pense, le nom de génie. Ce nom et aucun autre. » André Breton n’est pas en reste, qui affirme: « Il y a là une proposition neuve. On n’avait rien entendu de si fort depuis Lautréamont… J’ai reçu ce livre comme une brise venue du grand large. »
Sarane Alexandrian, qui fut le premier surréaliste à entrer en contact avec Chazal, écrit quant à lui : « Il représente le néo-surréalisme, qu’André Breton a salué sans parvenir à l’imposer à ses disciples. » En effet de sérieuses réticences émanent du groupe: « Comment peut-on honorer un auteur qui ne cesse de se référer à Dieu et à des croyances spiritualistes? » (1)
Malcolm de Chazal est un homme extravagant, génial pour les uns, fou pour les autres. C’est un inclassable. Il le dit lui-même: « Je suis un homme qui pourrait être considéré comme n’appartenant pas à la planète terre. »
A Maurice, il est incompris. « Je suis intraitable, invivable, ingouvernable. Un être extrêmement anti-social, vivant en opposition permanente avec la société mauricienne, haïssant les hommes et les aimant », avoue-t-il à Bernard Violet, qui a le bonheur de le rencontrer en 1969 à l’île Maurice. (2)
Les bourgeois blancs de l’île se moquent de lui. Lui, préférerait les créoles, il considérait qu’ils avaient une imagination beaucoup plus forte, qu’ils étaient source de richesse poétique. « Heureusement, l’île Maurice n’est pas seulement un pays de bourgeois: c’est un pays de poésie (…) Il me suffit d’avoir un campement au bord de la mer fait de ramilles et de chaume, de marcher sur le sable pour être parfaitement heureux. » (2)
La fleur malcolmienne, une fleur qui parle, qui sourit. |
La couleur est omniprésente dans les textes de Chazal. Ils illuminent véritablement ses aphorismes.
« Pour que l’art ait une valeur, il faut la spiritualisation. Il faut que la couleur soit au-delà de la couleur. Il faut que la lumière soit au-delà de la lumière. Il faut que les formes soient au-delà des formes. Et que tout cela se reporte à la poésie. »
Le rouge
Se mit du rouge.
Vint une cerise.
*
Le jaune
Est toujours
Bouche bée.
*
Le violet
Se met du fard
Dans l’oeil
Et paraît artificiel.
*
Le marron
Est toujours
Malade.
(Extraits de "Sens magique")
La fleur hors du temps, la fleur que l'enfant comprend. |
Les couleurs reviennent sans cesse sous sa plume. Et sa touche picturale est toujours surprenante.
« Vous connaissez mieux les couleurs que moi, lui avoua un jour Georges Braque. Vous avez une perception inouïe. »
Alors pourquoi ne pas peindre ?, s’interroge Malcolm. Il n’avait jamais dessiné mais, pour les couleurs, il n’eut pas de problème. « Je dépose mes couleurs comme des notes de musique, dans le désordre, expliqua-t-il à Bernard Violet. Cela se construit tout seul. C’est l’inconscient qui travaille. J’ai l’impression, plus tard, que mes tableaux ne sont pas de moi. Ce n’est pas moi qui crée: je suis peint. » (2)
L’art de Malcolm de Chazal est un art de la joie. Sa peinture est une façon déroutante de faire passer l’esprit. Le peintre-philosophe y réussit de manière fort singulière. Féérique.
Dans l’éternité
Il n’y a pas
De nuit.
Les couleurs
Sonnent
Les heures.
Bruno SOURDIN.
- Dans le numéro 53 de la revue « Les Hommes sans épaules », Christophe Dauphin consacre un bel article à Malcolm de Chazal: « Nous avons une relation particulière avec Malcolm. C’est, en effet, à notre ami Sarane Alexandrian qu’il s’adresse, à ses débuts parisien et français, en lui adressant, en 1947, une lettre très importante (autant dire un véritable petit livre, un manifeste de trente et une pages, dont nous conservons le manuscrit) qui marque sa prise de contact avec André Breton et les surréalistes. »
- Bernard Violet est étudiant et globe-trotter lorsqu’il a l’occasion de rencontrer Malcolm à l’île Maurice. Il réalise une série d’entretiens, qui vont déboucher sur l’écriture d’un livre, À la rencontre de Malcolm de Chazal (aux éditions Philippe Rey). Un livre extraordinaire d’entretiens, de textes inédits, de photographies et de pensées de Malcolm de Chazal. Indispensable à qui veut entrer dans l’univers chazalien.
Neuf aphorismes de Malcolm de Chazal
Extraits de "SENS MAGIQUE"
XLIX
Qui déshabillerait
La nuit
Verrait
Le corps de Dieu.
LVIII
« Tu es là ? »
Dit l’homme.
- « Oui, dit la femme,
Ne sens-tu pas
Mon silence
Marcher vers toi ? «
CXI
- « Tu es riche? »
- « J’ai tout
Je ne me possède plus. »
CXLVII
La pierre
N’entend
Son coeur battre
Que dans la pluie.
CXCVII
Le plus court chemin
De nous-mêmes
A nous-mêmes
Est l’Univers.
CCXLII
La nuit
N’a pas
De dortoir
Elle couche partout.
CCCXCIII
La boue
Croit
Toujours
Que l’eau
Veut la salir.
DCLVII
L’arbre
Sans pardessus
Courait
Sous la pluie
A la recherche
Du vent.
DCCL
L’auto
N’atteindra
Jamais
La vitesse
De la route.
"Sens magique" a été réédité par les éditions Léo Scheer.
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