F.J. Ossang: "Cognons, où le soleil demande" |
A chaque livre s’impose une forme nouvelle. Le Mémoire Lucien Dolchor est une oeuvre complexe, qui tient à la fois du récit de voyage, du journal intime et du montage cinématographique, genres que F.J. Ossang a toujours pratiqués avec bonheur et audace. Qu’il s’exprime par le son, l’écriture ou le film, il offre une oeuvre déroutante, qui pique l’imagination.
Ossang lit le monde et sa caméra le transcrit. « A dix-huit heures, Lucien Dolchor nage. Il nage en comptant 27 longueurs, puis verse un long pastis. Il se remémore les conversations d’après-midi. Fatigue est le mot qui revient toujours. Et philosophie. »
Voici Lucien Dolchor. Et tout à coup c’est la mort qui entre en scène. La mort qui rode toujours et que Ossang s’ingénie à dépister, comme le faisait jadis William Burroughs, pour lequel il a écrit un si beau petit livre (1). La formule-mort.
« Je suis à Barcelone quand la nouvelle me parvient: Lucien Dolchor est décédé dans la nuit du 23 à Paris. Mort suspecte. Sa dépouille attend à l’Institut Médico-Légal. Entretien avec la police qui finit par conclure à un suicide. On délivre le permis d’inhumer après 9 longs jours. Je tourne en rond dans Paris, prends livraison du corps de Lucien à la morgue, et fais un chèque. Je descends en trombe, deuxième passager du corbillard jusqu’aux Pyrénées. »
C’est un livre expérimental, énigmatique, comme l’étaient les ouvrages de son mentor, William Burroughs, El Hombre Invisible, « immense poète de la fin des temps », dont la présence ici est une évidence. Rien n’est vrai, tout est permis. «Cognons, où le soleil demande. »
Le Mémoire Lucien Dolchor est un texte étrange. C’est la poésie qui s’invite au cinéma, ou l’inverse. F.J. Ossang s’active dans la salle de montage, comme on retourne à soi pour ne pas sombrer.
« J’erre sans but parmi le cadastre régulier d’une banlieue pluvieuse. Secteurs résidentiels, centres commerciaux, zones de construction alternant sous mes yeux dans la béance d’une circulation lacunaire. La misère existentielle, l’aventure sourde, la déréliction vibrant au bord du sentiment. Couvre-feu, communication différée, intrusion de mondes extérieurs, disjonction des systèmes. »
Miracles. Évanouissements. Les yeux fermés. Les écrans vrombissent. C’est l’enfer, la pestilence, l’angoisse absolue. La salle est vide. « On y respire le signe que tout va finir. »
Bruno SOURDIN.
Le Mémoire Lucien Dolchor, éditions Pariah, 2021.
(1) F. J. Ossang: W.S. Burroughs VS formule-mort, éditions Jean-Michel Place, 2007.
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