Charles Plymell vit aujourd'hui à Cherry Valley, dans l'Etat de New York. |
Charles Plymell est né en 1935 près de Wichita, dans le Kansas. Dans sa jeunesse il a beaucoup voyagé, sur la route 66 vers la Californie, sur la route du nord en direction de l’Alaska ou celle du sud vers le Mexique. Il a fait cent métiers: dynamiteur de montagne dans l’Oregon, cueilleur de houblon, docker à San Francisco… Il a bossé sur des pipelines dans l’Arizona, chevauché des taureaux sauvages et des chevaux sans selle dans les rodéos. Dès les années 50, hipster avant l’heure, il mène une vie hors normes: les bagnoles, les filles et la benzedrine. Et naturellement, à San Francisco, « cette drôle de bonne vieille ville », il rencontre les Beats.
Dans Le Dernier des mocassins, qui vient (enfin) d’être traduit en français par Nicolas Richard (l’admirable traducteur de Brautigan, Pynchon et Patti Smith...), il raconte sa vie sur la route. La vraie vie, excitante, jouissive, toujours sur la brèche.
« Les pneus fredonnaient ce bon vieux blues solitaire et malheureux qui accompagne toujours un voyage; la tristesse de ce qu’on laisse derrière et un avenir plein d’espoirs. »
Charles Plymell raconte avec délectation une vie haute en couleurs, la joie et l’allégresse d’être au monde, l’ivresse et l’hébétude que l’on ressent après tant d’heures passées au volant, et la béatitude.
« On buvait la bile verte du peyotl directement du trou du cul du diable, on fumait de l’herbe et on se lançait dans de grandes spéculations à travers le monologue intérieur du cosmos. On buvait le vin de la jeunesse. »
A San Francisco, où il finit par débarquer, il y avait un formidable sentiment de liberté. Dans les soirées qu’il organisait dans son appartement de Gough Street, tout le monde dansait, fumait et dépassait la mesure. Tout le monde voulait aimer, vivre et expérimenter, voyager au plus profond de soi-même. « J’étais libre! », s’exclame Charley. Avec le LSD, les portes de la perception sont déverrouillées. Un nouvel univers s’éveille.
« J’ai regardé un long moment dans la glace et me suis vu à la fois singe et ange, assassin et pacificateur, tantôt pirate, tantôt sage oriental. Allongé sur le lit je me suis vu me métamorphoser en couleurs et formes circulant librement dans les couvertures. Le petit tapis respirait et j’étais hypnotisé par un chat. »
A San Francisco, il retrouve des artistes et poètes du Kansas, un groupe surnommé le « Wichita Vortex », le tourbillon de Wichita: Bruce Conner, Michael McClure, Stan Brackage, Dave Haselwood. Et puis son vieux pote Bob Branaman, le peintre visionnaire qui est devenu un véritable phénomène californien.
« J’allais chez lui voir ses dernières peintures. Chaque pouce de sa chambre était occupé par des oeuvres, des photos de vieux magazines, des découpages, des tâches de peinture sur chaque centimètre carré. Il vivait à l’intérieur d’un tableau de Pollock. »
Charles Plymell et Bob Branaman: les retrouvailles de deux vieux amis de Whichita. |
A San Francisco, il rencontre Neal Cassady, qui avait inspiré à Kerouac le personnage de Dean Moriarty dans Sur la route, et Allen Ginsberg, de retour d’un long séjour en Inde. Allen et ses amis Beats ont débarqué à l’appart de Gough Street, où Charles organisait une party. Choc et magie des rencontres.
Voici le portrait d’Allen: « Allen dressait son constat intellectuel tout en ramassant les miettes sur la table, rangeant méticuleusement la nourriture dans un récipient puis au réfrigérateur. Une initiative confortable et karmiquement sûre. Ça, je ne sais pas combien de fois je l’ai vu le faire et le refaire. J’avais le sentiment que l’approche d’Allen était toujours intellectuelle, il n’arrivait jamais à mettre son esprit en veilleuse, mais en même temps son exploration vertigineuse, courageuse… presque tyrannique de l’expérience était une démarche qui forçait le respect. »
Et plus loin: « Allen était comme ça… s’intégrant aux tribus les plus retirées d’Amérique du Sud, prenant d’étranges drogues (qui auraient pu être du poison), complètement à la merci d’un peuple et d’une culture étranges, seul avec leur sorcier… ce que nos héros nationaux de l’Espace seraient sans doute bien réticents à entreprendre. »
Au coeur du quartier de Haight-Ashbury, Charles Plymell fait le lien entre les poètes Beats et les hippies de la génération Peace and Love.
Mais vient un temps où il commence à trouver ces hippies ennuyeux.
« J’en avais marre de ce cloaque hippie devenu prétentieux et pudibond. San Francisco avait changé. Il fallait être mods ou hippie ou je ne sais quoi. Je ne captais plus son côté rigolo… son feeling se diluait. J’en avais marre de S.F. et de toute la Californie. Je ne trouvais plus ma place dans ce qui était en train de se passer. Je m’en fichais. Je n’essayais plus. »
Car Charley s’est investi dans la Free Press. Il publie désormais des dizaines de revues underground. C’est lui qui découvrira le dessinateur Robert Crumb, le maître de la bande dessinée alternative (qui signe d’ailleurs la couverture de ce Dernier des mocassins, version française); c’est lui, Charles Plymell, qui éditera, avec Pam sa femme, le premier Zap Comix. Mais ceci est une autre histoire.
Bruno SOURDIN.
Le Dernier des mocassins, par Charles Plymell, éditions Sonatine. Traduit par Nicolas Richard.