"La Nuit étoilée", de Van Gogh, "un souvenir d'enfance, précieux, merveilleusement indélébile". |
S’immerger dans toutes les nuances du bleu, c’est l’aventure que propose Zéno Bianu dans un petit livre magnifique rédigé sous la forme d’un abécédaire, de A à Z, de l’Apnée au Zen.
Pour retrouver le bleu le plus profond, il suffit invariablement de se connecter aux souvenirs éclairants de l’enfance. Ainsi revoit-il le petit Parisien qu’il fut en exploration au Jardin des Plantes, « une enclave de mystère au milieu de l’asphalte ». « On n’y vivait pas de la même façon qu’au dehors », loin de la « raideur » du Jardin du Luxembourg, de la tristesse, des chagrins et du tumulte de la ville grise. Soudain, en levant les yeux, c’est l’éveil: « Le bleu du ciel me happe tout entier, m’ouvre les portes de l’inconnu ». Ebloui, le jeune Parisien découvre là « un monde de silence et de langueur sauvage ».
Zéno a 10 ans lorsque son oncle Philippe l’initie à la plongée sous-marine, en Méditerranée, dans la rade de Toulon, aux antipodes de la grisaille des rues de la Capitale. C’est une grande révélation: « Je nage, je plonge, je m’immerge, je coule pour la première fois au fond du bleu ». Le bleu qui guérit de tout, de la noirceur du quotidien, de la folie du monde.
Le secret est là: rester à l’écoute de ces moments forts de l’enfance. Revenir à l’enfance pour reprendre vie.
Autre souvenir précieux et inoubliable: la découverte, « dans un catalogue poussiéreux », de La Nuit étoilée, le chef-d’œuvre absolu de Van Gogh. Voici ce qu’en dit Zéno Bianu aujourd’hui: « Jamais, au fond, je ne me suis remis de ce rythme premier, qui continue de faire vibrer pour moi le meilleur de la vie et le plus extrême de l’art. » En repensant à cette nuit éclairante, le poète se remémore cette recommandation de Paul de Tarse dans son épitre aux Romains (traduit par Chouraqui): « La nuit est passée, le jour approche. Ecartons donc les oeuvres des ténèbres, revêtons les armes de lumière. » Etendre la joie, disait quant à lui Montaigne, retrancher la tristesse. S’opposer aux ténèbres du monde, se connecter au souffle mystérieux qui nous donne à voir les étoiles, « l’intérieur ardent d’un vent bleu ».
Zéno Bianu. (Photo C.Hélie/ Gallimard) |
Le bleu, toujours le bleu. Le bleu que Zéno Bianu décline en petits chapitres éblouissants:
Le bleu des peintres. Le bleu Van Gogh. Le bleu monochrome qui est au coeur de l’oeuvre d’Yves Klein, découvert à l’âge de 12 ans dans un documentaire italien: « Cet homme-là, le coeur gonflé à l’hélium des rêves, s’est plongé à jamais dans un bain d’indigo spirituel. »
Le bleu des poètes. Le bleu Rimbaud. Rimbaud, découvert à 16 ans. « Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers » (1). Un poème qui peut changer votre monde et vous accompagner « comme un talisman, un blason vivant ».
Le bleu des musiciens. Une note bleue. Le bleu Coltrane. Le bleu Chet Baker. Le bleu Hendrix, Jimi Hendrix, découvert à 16 ou 17 ans, une apparition: « Hendrix m’a touché jusqu’au coeur des cellules, en plein ciel intérieur, et je crois bien que je n’en suis jamais revenu. »
"Bleu des premières secondes de l'univers.
Bleu pour rêver plus juste.
Bleu pour enlacer la vie.
Bleu pour n'en jamais revenir."
La vraie vie est là. La beauté est là. Il faut s’y ressourcer. Retrouver la joie intense du bleu de l’enfance, aller à la rencontre de l’enfant intérieur, l’enfant bleu qui vit en nous et qui tend la main.
Bruno SOURDIN.
(1) « Sensation », les Cahiers de Douai, 1870.
Zéno Bianu: « Petit éloge du bleu », Folio, 2020.
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