Photo Sophie Nauleau |
Le poète André Velter est un grand voyageur. Né dans les Ardennes, il partage avec Arthur Rimbaud, son illustre devancier, un goût immodéré pour les grands espaces et pour la vie nomade. De Paris à Lhassa, de Sils-Maria à Chidambaram, il passe une grande partie de sa vie sur les routes. Samarkand, Rishikesh, Katmandou, Lahore…
« Combien de fois ai-je psalmodié Guadalquivir,
Babylone, Nichapour, Maïmana, Guadalajara ?
Combien de fois le chemin
a-t-il dévié sa course
au seul écho de Trébizonde, de Bénarès,
de Sukothaï ou de Séville ? »
Ivre de l’univers, il a été le premier poète français à cheminer à plus à 5000 mètres d’altitude et il en a ramené un grand livre, Le Haut-Pays, le poème du Tibet et de l’Himalaya. Son oeuvre est une stimulante invitation à partir sur les routes, à respirer plus profondément et à chambouler les idées reçues.
« Tout est départ.
Du mouvement il n’y a pas à démordre.
Du mouvement dans l’azur ou l’asphalte, les volcans ou les glaces.
Le moindre geste a semé des étoiles sur la terre. »
Le voyage est pour lui une nécessité vitale. C’est l’appel de l’ailleurs, la jubilation, l’inattendu, l’enthousiasme. Une ivresse sacrée.
S’échapper mais rester lucide car aucun pays n’est pas un havre idéal : « La bêtise, l’agression, la laideur programmée y sont à l’oeuvre comme partout. » Partout flotte l’image du despote, partout est installé le règne du Père Ubu : « On n’entend qu’anathèmes ou menaces, vociférations de barbus, aboiements de miliciens. Les marchands empochent et se taisent. Les nantis soupirent et se terrent. Les Etats déroulent leurs barbelés. »
La poésie, dit André Velter, ne peut être coupée du réel. Mais dans le chaos du monde, l’important est de trouver sa ligne de crête. L’important, lorsqu’on aime la vie, est de partir.
« La poésie est sursaut d’adolescence à jamais. Désir sans frein. Vitesse. Vertige. Frénésie de départ.
Comme un galop dans le sang. Comme un soleil à la bouche.
Et l’infini qui se donne en partage… »
Vivre sa vie en dansant. Comme à Chidambaram, dans le Tamil Nadu, où Shiva Nataraja effectue sa danse cosmique :
« Danse Shiva danse,
jusqu’à n’être plus qu’un peu de feu sans ombre,
souffle pur de l’univers tout entier
réaccordé, accordé, accordé, réaccordé… »
Etre toujours en partance. Toujours en éveil. Et rester fidèle en amitié. Voici Abidine Dino, le peintre turc, maître de la calligraphie onirique :
« Avec toi
j’ai couru Istanbul
Constantinople
et même un peu Byzance.
Il n’y avait qu’à t’écouter.
(…)
Rome Paris Antibes
le champ est libre entre tes mains,
tu peins comme dansent les soufis
ivre de mouvement et d’étoiles
en jetant des fleurs à la nuit.
(…)
Abidine, tu as créé
un créateur sans exemple,
engagé dans le siècle
arpenteur de légendes
sourcier de la parfaite chance
et calligraphe de la rose des sables. »
Voici Ernest Pignon-Ernest et ses images éphémères et puissantes apposées sur les murs des cités :
« Ernest Pignon-Ernest a pris ses marques en extérieur. A l’air libre. Sur les façades. Les devantures. Les frontons.
Ses marges de manœuvre s’ouvrent au cœur des villes. A hauteur d’homme. De balustre. De fournil. De fenêtre ou de soupirail. »
Voici Marie-José Lamothe, la traductrice passionnée du poète-ermite tibétain Milarepa, si lumineuse, si érudite. Lorsqu’il a appris qu’elle n’avait plus que quelques semaines à vivre, un matin de février 1998, André Velter n’a plus voulu ajouter une page « au manuscrit qu’elle avait lu », ni modifier le titre, La vie en dansant :
« Etre au monde en dansant relevait d’un défi joyeux, insouciant. C’est aujourd’hui un pari douloureux, terrifiant, pas assez risqué à mon goût : une danse de mort pas à pas portée dans l’ombre d’une danse de vie. »
Dans le recueil suivant, Au Cabaret de l’éphémère, André Velter nous donne rendez-vous, à l’étape du soir, avec un compagnon qui est de presque tous les voyages : le grand poète persan du XIe siècle, Omar Khayyam.« Il connaît la carte du ciel mieux que celle de la terre et le vide des espaces infinis l’a toujours moins effrayé que les ravages des mercenaires, l’arrogance des puissants ou la vindicte des dévots. »
Par-delà les siècles, leur rencontre s’impose : « le culte du plaisir présent, de la beauté incarnée, du vin qui réconforte, qui réjouit, qui ouvre les portes insoupçonnées de l’esprit et des rêves éveillés. »
Une même lucidité, un même désespoir gai, un goût commun pour le chant, la poésie à voix haute. Omar Khayyam, le sage de Nichapour, est bien un de ses compagnons parmi les plus fidèles :
« la tête dans les étoiles
tu as le diable au corps
tu penses à l’homme de Nichapour
à l’astronome
qui ne croyait pas au ciel
au poète de la douce ivresse
du fort désir
qui ne s’encombrait pas de dieu
qui ne s’encombrait pas de dieu
au cabaret il mettait les voiles
avec tant d’insouciance
qu’on aurait dit
le grand bonheur la chance
à la barbe des dévots
à la barbe des dévots »
Comme chez Khayyam, il y a chez Velter à la fois un tempérament de révolte contre les iniquités de notre monde et une invitation résolue au carpe diem :
« Comme l’eau du fleuve et le vent du désert,
Une journée de plus quitte le compte de mes jours ;
Mais il est deux journées qui ne me soucient guère :
Celle qui vient de passer et celle demain qui passera. »
La vie est courte et il faut se dépêcher d’en jouir. Une mélancolie épicurienne qui se double d’une liberté d’esprit absolue. Une poésie de très haute altitude.
Bruno SOURDIN.
La vie en dansant, suivi de Au Cabaret de l’éphémère et de Avec un peu plus de ciel,d’André Velter, Poésie/Gallimard, 2020.
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