Daniel Boulanger aimait rendre les choses simples mystérieuses. Fantaisie était sa devise. « Faites que le monde ne devienne pas très ordinaire », fait-il dire à un personnage d’Un été à la diable, un de ses romans facétieux. Son sens de l’observation et son goût du débridé et du loufoque se sont épanouis dans la nouvelle, dont il fut l’un des maîtres. Ils font aussi merveille dans ses poèmes, qu’il aimait courts, trois ou quatre vers, rarement plus de six, et qu’il baptisait « retouches ». Il y a, par exemple, dans son recueil Etiquettes, la retouche à l’attente, la retouche à la paresse ou la retouche à la boîte à sardines, qui donne ceci :
« sous la vague en fer blanc
un peuple étroit de pharaons
achève sa dérive. »
Lorsqu’il passe chez Grasset, il continue à ciseler ses vers : retouche à l’aube, retouche à l’orage, retouche à la gouttière :
« penchée sur une eau qui s’en va
et toute au bruit de roue du ciel
la lune sent le chat ».
Son recueil Images, mes catins est un discret clin d’œil à Diderot (« mes pensées sont mes catins »), et surtout l’occasion de souligner combien l’image est au cœur de sa poésie. « Les images ? Je passe un moment inoubliable avec elles », m’a confié, un jour, avec un large sourire, l’ermite de Senlis.
La poésie de Daniel Boulanger n’obéit à aucune règle, sinon que de dire, avec le moins de mots possible, le plus sur un objet, une sensation ou une image entr’aperçue. Ses livres de poèmes sont comme des drageoirs, on y picore, au gré de ses humeurs ou de ses envies, on laisse fondre… C’est un plaisir délicieux.
Des retouches, Daniel Boulanger en a écrit pendant 60 ans. Dans son œuvre, c’est ce à quoi il tenait le plus, comme il me l’a raconté : « Ça a commencé bizarrement. Je me suis trouvé très loin de chez moi, au Tchad. La femme que j’aimais habitait Paris. Je me suis mis à lui décrire le vent du sable, l’acacia, le tam-tam, la dégringolade du jour… » De retour d’Afrique, il montre son manuscrit à Paulhan, qui lui dit : « C’est un coup de poing. » Avec ses retouches, il avait créé un genre.
A la différence des fervents du haïku japonais, Boulanger ne cherchait pas à exprimer le secret profond des choses. Lui, au contraire, prenait un malin plaisir à regarder de biais ou par en-dessous puis à « retoucher » tout ce qui lui tombait sous l’œil, les choses ou les sentiments, puis à les concentrer en poèmes, souvent mystérieux.
Attentif à ce qui fait la drôlerie de la vie, grand amateur du bizarre et du cocasse, il devient un grand poète lorsqu’il fait appel aux éléments les plus simples : le ciel et le vent, la nuit et les étoiles, ou qu’il nous fait sentir « la respiration de Dieu ». Ainsi dans cette très lapidaire retouche à la certitude :
« la terre
un point dans l’écriture illisible de Dieu ».
Ou encore dans cette retouche au grand monde :
« les collines couchées à la romaine
se passent la coupe du ciel
l’échassier du soleil sur une patte
veille
gavé de silence ».
Daniel Boulanger a publié une vingtaine de livres de poèmes. Jamais il ne passait une journée sans poésie. « J’ai toujours fait ça, aimait-il à dire. Avant de m’endormir, j’ai toujours lu un poème. Depuis le séminaire où, avec une lampe, en douce, je lisais sous les draps. J’ai toujours voulu que le beau me serve de bien, c’est ma morale. »
Il composait donc ses retouches régulièrement, « comme ça vient », dans la rigueur, la pauvreté, l’essentiel, ne gardant que ce qu’il aimait. Ses poèmes tiennent avec peu de choses. Avec parfois une rime, parfois une assonance, ses vers sont toujours très rigoureusement rythmés. Ce sont le plus souvent des octosyllabes, parfois un alexandrin. Le rythme, voilà bien l’essentiel. Depuis Marot jusqu’à Apollinaire ou Paul-Jean Toulet, en passant par Tristan L’Hermite, « le français, remarquait-il avec justesse et le sens de la formule, a toujours eu le même cristal. »
Et, pour ses retouches, il ne fallait pas lui parler de haïkus, on s’en doute. Ses poèmes sont exactement à l’opposé : un formidable travail de ciselure.
Bruno SOURDIN.
Etiquettes, Gallimard, 1993
Images les catins, Grasset, 1999
Fenêtre mon navire, Grasset, 2008.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire