C’est un cri, une exaspération, un hurlement, une vocifération
de colère, un mixage de cruauté, de violence et d’effroi. Et de
désespoir. « Le ciel vide,/ immensément triste/ la mort tapie
dans les brumes ». Des êtres infects pullulent dans les rues
grises, « balayées par un vent de boucherie ». La mort
patrouille dans les zones lépreuses de l’univers. Plus question
de rêver. La peur domine et ce monde chavire comme un
chaos. Partout, on ne voit que des robots et des criminels. Big
Brother a pris le pouvoir et ne le rendra pas. « Les forces du
mal célèbrent l’avènement du malheur & de la terreur. » C’est le
temps dévasté.
Claude Pélieu enregistre les images de ce monde brisé et sa
souffrance est immense. Que faire dans cette vallée de
larmes ? Nous sommes tellement désemparés. « Les âmes
quittent les corps,/ nous sommes seuls,/ terriblement seuls. »
En 1985, Claude Pélieu avait remis à Alain Brissiaud un
manuscrit intitulé New Poems & Sketches. Il s’agissait d’un note-
book, un carnet de notes de cent trente pages, rédigé aux
crayons feutre de couleurs. « Ces couleurs, précise-t-il, varient
à chaque strophe, passant du rouge, au vert, au bleu… etc . »
Le manuscrit est daté de 1976-1977 et a été écrit en
Angleterre. On retrouve plusieurs de ces poèmes, « mais
jamais intégralement », dans le recueil Dust Bowl Motel Poem
de 1977.
Indigo Express, publié par Alain Brissiaud en 1986. |
En 1986, Alain Brissiaud avait publié Indigo Express
(aux éditions Le Monde à venir), un merveilleux petit livre, très
zen, dans lequel le traducteur et compagnon de route de la
Beat Generation laissait transparaître son admiration pour Li Po
et les poètes chinois de la dynastie de T’ang, mais aussi pour
Bashô, Issa et les grand maîtres du haïku.
Ah, posséder
l’attention du poète japonais !
Cette double direction – cut-up et cauchemar urbain, apaisement et volonté de vivre à l’écart – se retrouve dans le note-book de 1977 qu’Alain Brissiaud a eu la bonne idée de publier aujourd’hui aux éditions Books Factory, avec une formidable mise en page de Jean-Jacques Tachdjian , un grand graphiste. Ecriture sauvage et éclatée, écriture de la
transe et de l’extrême d’un côté, fragilité et compassion de l’autre. Pélieu ne craint pas le paradoxe : lorsqu’il écoute et regarde les choses au plus profond, tout devient soudain magnifique : « Nous sommes/ sur la plus extraordinaire/ planète. Nuages immobiles/ au-dessus du paysage/ de lumière, au bord/ du vide – et de la tiédeur/ de la nuit – le chant/ des
cigales & des grillons/ se mêlent aux lueurs/ bleues & rouges/ par dessus le Temps ».
Claude Pélieu a toujours mené une vie de rupture, une vie d’exilé, douloureuse, extrêmement douloureuse. Comme Rimbaud, il mourra sur un lit d’hôpital, amputé d’une jambe. Comme Rimbaud aussi, il pensait que les poètes devaient dynamiter le monde pour le réenchanter. « Les poètes, écrivait-il, devancent/ les grands bouleversements,/ à tâtons, par
hasard. » Le hasard était en effet sa bonne étoile. C’était un élément essentiel dans la construction de son œuvre. « La poésie n’est pas un secret,/ elle vit partout/ et jaillit d’on ne sait où ».
Dès 1977, on voit que sa démarche était pleine de paradoxes. Tantôt c’est un vent de violence et de destruction, les images du poète se fracassent et explosent, « les hommes font pleurer les anges ». Tantôt c’est une plongée dans l’inconnu, un appel à l’absolu. « Dieu, ça doit être/ comme la foudre/ immense, inexplicable,/ indispensable. »
La vie de Claude Pélieu a été un immense collage. Mille milliards de collages.
Bruno Sourdin
New Poems & Sketches, Claude Pélieu, postface Alain Brissiaud, maquette et illustrations Jean-Jacques Tachdjian. Editions Books Factory, 2016.
Un livre à lire en écoutant Monk’s dream, de Thelonius Monk.
« Monk, ma bonne étoile », avait l’habitude de dire Claude Pélieu.
Article publié dans Diérèse n° 71.
http://diereseetlesdeux-siciles.hautetfort.com
Article publié dans Diérèse n° 71.
http://diereseetlesdeux-siciles.hautetfort.com
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