Youenn Gwernig (photo: Ouest-France). |
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C’était cela New York, les grouillements, les dérives, les
désastres, parano, déluge d’apocalypse de l’asphalte, les fracas, les
immondices, la haine, poubelles d’uranium dérivant dans la nuit, vacarme,
collages de cerveaux étincelants dans les dortoirs du Bronx
New York, la danse, la fugue, la pulsion, valises, larmes de
saxophone des parkings, l’effroi, le brouhaha, les épidémies, corps amputés
pourrissant sous un pont, coma, horde de mutants se trémoussant dans des taxis
dans le West Side
New York, les masques à gaz, les stocks de napalm, les
chaises électriques, miséricorde, asile de nulle part des cœurs brisés, les
gargouillis, les ténèbres, la puanteur, murs d’écrans vacillant dans un ciel de
totems rongés, amnésie, mixages de soupes d’enfants morts dans les feuilletons
de Times Square
Voici les hommes au visage de juke-box, voici les hommes au
visage de plexiglas et de microfilm. Lorsqu’ils vomissent des sandwiches de
plutonium dans les léproseries de la Bowery, cela s’appelle le désespoir. Ils
se vident, ils s’engloutissent, on leur a demandé de se fouetter, ils
s’infestent, ils s’épinglent, se fixent. New York est une ville pour la fureur
errante, fondu enchaîné sur les pierres tombales, les couloirs du métro,
terrasses, tunnels, bouches d’aération, quartiers de serpents, de blattes, de
chacals, images tristes d’enfants-machines, starlettes s’écroulant devant
l’armoire à pharmacie, voix off de ventriloques, d’embaumeurs en sanglots,
valium, boîtes de bière, caisses de barbaque de la lune et cartes postales de
l’enfer balayées par le vent
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Chez Clarke, Youenn fait des grands gestes du bras en levant
la tête. Le bar est plein à craquer. Mildred, Mick et Paddy, Mike, le Shérif,
un whisky une bière pour tout le monde. La porte s’ouvre et c’est une grande
bouffée d’air pur. Jack Kerouac n’a pas changé, il se tient immobile, les yeux
grands ouverts et étonnés. Son corps se balance légèrement, alléluia au milieu
du vacarme. Il ferme les yeux, il secoue la tête, il dit oui, il dit non, il
ouvre une plaie béante, une blessure qu’il refuse de combler
C’était cela aussi New York, Youenn et sa grande vision,
joie vitale, les nuits de Greenwich Village, odeurs de hasch, têtes d’agneaux
et couilles de mouton, la Grande Tribu, la béatitude ardente de l’Armorique
sacrée, toujours amoureux de la vie et au diable tout le reste
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Retour plongée dans les rues
Sur les toits, dans les parcs
Piaules, vitrines et escaliers de secours
Fantômes entassés par milliers
Sous le métro aérien
Dans un tourbillon de poussière
Les conversations flottent dans le crépuscule
Jack et Youenn disparaissent
Okay, Yec’hed mat,
vieux frères
Apaisés
La lune leur montre la route
Bruno Sourdin: L'air de la route (Editions Gros Textes, 2013)