Anthologie des poètes en Normandie du XIème siècle à nos
jours, Riverains des falaises présente, aux éditions Clarisse, un large éventail des poètes dont les
écritures font apparaître les traits du visage de la Normandie, vivante,
chaleureuse, parfois fermée, taiseuse, ou rebelle, et sentimentale,
bouleversante, dans ses antinomies de terre et d'eau, d'arbres et de
migrateurs. Cette anthologie est le travail d’un essayiste érudit, Christophe
Dauphin. Directeur de la revue Les Hommes sans épaules, né à Nonancourt, dans
l’Eure, ce dernier est lui-même un poète original et authentique, poète de
l’émotion, proche des surréalistes.
Du XIe siècle à nos jours, on retrouve les poètes normands
en première ligne. Tout commence avec La Chanson de Rollant. Ce premier
chef-d’œuvre de la littérature française est attribué à un clerc du pays
d’Avranches, Turold. De Corneille à Alphonse Allais, de Barbey d’Aurevilly à
Raymond Queneau, à toutes les époques, le rayonnement des poètes de Normandie a
toujours été intense. Contentons-nous ici de deux exemples. Celui du sieur de
Saint-Amant, figure phare de
la poésie baroque du XVIIe siècle. Celui de Jean-Pierre Duprey, poète rouennais
salué par André Breton. « Plus de cinq ans après sa mort, indique
Christophe Dauphin, il demeure l’archange de la jeunesse révoltée et
personnifie mieux que quiconque la dualité déchirante qui existe entre le rêve
et la réalité. »
Les goinfres
Coucher
trois dans un drap, sans feu ni sans chandelle,
Au profond de l'hiver, dans la salle aux fagots,
Où les chats, ruminant le langage des Goths,
Nous éclairent sans cesse en roulant la prunelle ;
Hausser notre chevet avec une escabelle,
Etre deux ans à jeun comme les escargots,
Rêver en grimaçant ainsi que les magots
Qui, bâillant au soleil, se grattent sous l'aisselle ;
Mettre au lieu de bonnet la coiffe d'un chapeau,
Prendre pour se couvrir la frise d'un manteau
Dont le dessus servit à nous doubler la panse ;
Puis souffrir cent brocards, d'un vieux hôte irrité,
Qui peut fournir à peine à la moindre dépense,
C'est ce qu'engendre enfin la prodigalité.
Au profond de l'hiver, dans la salle aux fagots,
Où les chats, ruminant le langage des Goths,
Nous éclairent sans cesse en roulant la prunelle ;
Hausser notre chevet avec une escabelle,
Etre deux ans à jeun comme les escargots,
Rêver en grimaçant ainsi que les magots
Qui, bâillant au soleil, se grattent sous l'aisselle ;
Mettre au lieu de bonnet la coiffe d'un chapeau,
Prendre pour se couvrir la frise d'un manteau
Dont le dessus servit à nous doubler la panse ;
Puis souffrir cent brocards, d'un vieux hôte irrité,
Qui peut fournir à peine à la moindre dépense,
C'est ce qu'engendre enfin la prodigalité.
Saint-Amant (1594-1661)
*
Il y a de la mort dans l’air
Mon pays navigue sur un fond de mer
Je me promène dans
ses jeux de vagues
Sur les larmes éclatées
Les églantines sont
des pirogues de verre
Mon pays est un vaisseau parti pour les étoiles
Le sang dedans
maraude comme une folle
Paysage nivelé à zéro
II y a de la mort
dans l’air
Mon pays est un vieux banjo de sanglots
On y joue des larmes
très méchantes
Un grand poids pèse
sur notre terre
II y a de la mort
dans l’air
Au bout du ciel une plage de cristal
Sur un fond de mer
s’affirme un pays de sang
Tout autour la boue
rougie
Les plus belles morts sont de verre
Jean-Pierre Duprey (1930-1959)
Riverains
des falaises, une anthologie des poètes en Normandie du XIème siècle à nos
jours, réunie par Christophe Dauphin.
544 pages, format 16 x 24 cm à la française, couverture quadri intégra, prix de vente public : 20 €.
544 pages, format 16 x 24 cm à la française, couverture quadri intégra, prix de vente public : 20 €.
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