Pentti Saarikoski
Dans les années 60 et 70, Pentti Saarikoski était sans conteste l’un des poètes phares d’Helsinki et, en ces temps de guerre froide, une des figures de la nouvelle gauche finlandaise. À sa façon de mêler sa vie privée et ses écrits, il était proche des poètes de la Beat Generation , qu’il a du reste traduits. Dans sa recherche effrénée de l’ivresse poétique, il y avait chez lui du Dylan Thomas et, dans son engagement politique, une forme de romantisme à la Che Guevara. L’enfant terrible des lettres finnoises s’était révélé en 1958 avec un recueil explosif sobrement intitulé « Poèmes ». Dans une langue simple et directe, son œuvre apparut au grand jour comme le résultat d’un brassage frénétique. Un mélange détonant de culture classique latin-grec (il fut toute sa vie un grand admirateur d’Héraclite) et de modernité insolente et désinvolte. Sa poésie, qui alterne sans aucun complexe prosaïsme et lyrisme, est le fruit d’une inspiration débridée, ouverte. Il n’était pas le genre de type à s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Affilié au Parti communiste, dans un pays qui partageait une longue frontière avec l’ogre soviétique et qui n’était indépendant que depuis 1917, il n’a jamais brillé par son orthodoxie. Et il devint carrément dissident après l’invasion de Prague par les chars de l’Armée rouge en 1968.
Alcoolique chronique, Pentti Saarikoski fut hospitalisé à de nombreuses reprises. Mais sa vie bohème et chaotique à souhait ne l’empêchera pas de publier une douzaine de livres de poésies, des romans et plusieurs essais. Et il fut l’un des passeurs les plus éblouissants de son temps, traduisant en finnois Henry Miller et Allen Ginsberg, Italo Calvino et Salinger (« L’attrape-cœur »), Philip Roth, la Bible de saint Mathieu… En outre, il est le seul traducteur au monde à avoir inscrit à son tableau de chasse à la fois « L’Odyssée » d’Homère et « Ulysse » de James Joyce. Cet écrivain exceptionnel était aussi un grand voyageur. Prague, Dublin, Tallinn, Paris… Il voyageait pour trouver la paix et le calme propice à la création. C’est finalement en Suède, près de Stockholm, qu’il a passé les dernières années de sa vie. Son dernier livre raconte un séjour en Bretagne où il était venu apprendre « le breton sans peine ».
Il est mort d’une cirrhose en 1983. Il n’avait que 46 ans.
Pentti Saarikoski |
Poèmes
c’est la fin
de plusieurs milliers
de soleils
d’or
plus rien à vendre plus rien à
acheter
le navigateur
italien
a découvert
un nouveau monde
et une nation
heureuse
d’adorateurs
du champignon géant
des garçons passaient en patins
un animal
malade sauta
sur mes genoux et vomit
j’allais à la poste
un bus bleu se
mit à blanchir
et commença
à danser
§
de plus en
plus froid
le ciel
comme un
triangle équilatéral
avec un œil
qui sort pour
regarder
un point de
dégel dans la glace
mon ami
l’artiste
descendait la
rue Annankatu en dansant
l’hiver
éclaircit
la forme des
arbres
tuer c’est comme laisser tomber une quantité de verres
fragiles
§
le printemps
nous étions assis
dans un café du bord de mer et je
regardais
par-dessus
sa tête un bateau à voile
voile blanche ses
cheveux
m’entraient
dans les yeux
et les
mouettes
et le ciel qui
s’avançait
comme un lourd
écran blanc
quelque part à la campagne
il y a une
forêt au bout d’un
marécage
je m’y tiens en bordure
me frottant le
dos
contre un sapin
Maman pousse
de grands cris
d’une voix de
corneille
comme si elle avait une cuillère
dans la bouche
les garçons jouaient au hockey sur glace
le drapeau flottait bien droit dans le vent
le camion de livraison sortit à reculons du garage
une femme tirait sur son rideau pour voir s’il faisait froid
dehors
au loin une fine couche de neige couvrait le champ
dans le journal il y avait la photo de deux ministres
qui se rendaient à un meeting
(1962)
Nous sommes assis avec le vieux capitaine
à avaler nos bières
sans se dire un mot pendant une heure.
« Eh bien, dit-il enfin, je pense qu’il est temps
de dessoûler quand la bière
commence à avoir un goût de pisse. »
Puis chacun replonge dans ses pensées,
profondément.
c’est ici qu’ils se sont endormis,
ces vieux ivrognes, sur le rivage qui les a vus naître.
Ces êtres pitoyables que j’ai choisis comme équipage.
§
apaisé,
il a beaucoup voyagé
et beaucoup souffert,
comme l’aurait fait un dieu,
le bateau vogue sur les flots ténébreux,
il retourne chez lui,
il dort.
§
De retour à la maison,
Ulysse
retrouve Argos,
le chien
qu’il avait élevé.
Le chien le reconnaît,
remue la queue, couche ses oreilles
mais il est trop vieux
pour s’approcher de son maître, et il meurt.
(1973)
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