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| Merja Mäki à la rencontre de ses lecteurs à Agneaux. |
Invitée des Boréales, le festival normand consacré aux cultures nordiques, Merja Mäki est, après Sofi Oksanen, la nouvelle étoile polaire de la littérature finnoise. Elle est venue nous parler de son roman qui vient d’être traduit en français, « Quand les oiseaux reviendront », qui raconte la terrible Guerre d’hiver, lorsque les Russes ont attaqué la Finlande en 1940.
Lorsque les Russes envahissent la Carélie, la population est contrainte à l’exil. Alors que la population se presse à bord des trains, Alli décide de sauver le bétail familial et entreprend, avec sa belle-sœur qui est enceinte, un long périple à travers un territoire glacé et dangereux. Qui mieux qu’elle peut incarner le « sisu », ce terme finnois qui évoque la force intérieure, la ténacité, la résistance, le courage, une vie austère dans un environnement hostile.
Pendant cinq ans, avant de se mettre à l’écriture, Merja Mäki s’est documentée sur la vie des soldats finlandais de 1940.
Merja Mäki : « Une nuit, je me suis réveillée en sursaut. Dans mon cauchemar, j’étais un soldat, on m’avait tiré dessus, j’avais reçu un plomb glacial… Après m’être réveillée, je me suis dit : ça suffit, j’ai assez passé de temps avec les soldats, il faut que je passe à autre chose. Alors, j’ai commencé à réfléchir à ce qui se passait à l’arrière du front, là où les civils, les femmes, les enfants étaient restés. »
Nous sommes en 1940 en Carélie, la province que les Soviétiques s’apprêtent à annexer. Alli est une jeune femme qui apprend les secrets des plantes et le métier de guérisseuse. Mais elle rêve de bateau et de pêche : elle voudrait passer ses journées avec son père qui est pêcheur sur le lac Lagoda. Sa mère s’y est farouchement opposée.
Merja Mäki : « J’étais aussi très intéressées par ce que pensaient les gens à cette époque, leurs peurs, leurs espoirs. C’est à ce moments-là que l’histoire de cette Alli s’est imposée à moi. Je me suis efforcée de recréer le cadre historique le plus véridique possible. Mais les personnages sont totalement fictifs. Ils sont arrivés comme cela, très fort. Et j’ai été obligée d’écrire. »
Courageuse, généreuse, sensible, Alli vivait un peu hors des normes de sa société, elle était également exclue de sa famille. Son rêve de devenir pêcheuse, comme son père, est devenu impossible après l’invasion de la Carélie, tout simplement parce que l’accès au lac de Lagoda était maintenant interdit. Rejetée par sa mère, elle ne pouvait plus rester sur sa terre natale, l’exil était le prix à payer pour sa liberté.
Merja Mäki : « Cet exode s’est déroulé dans des conditions absolument épouvantables. Mais ce chemin très difficile a été aussi bénéfique pour Alli, parce qu‘elle est partie avec sa belle-sœur qui avait un regard extérieur et qui voyait Alli différemment, comme une jeune femme très forte et courageuse. Pendant ce voyage, Alli elle-même a réalisé qu’elle était capable de beaucoup de choses. Elle avait très peur mais elle y allait quand même. Pour moi, c’est ça le vrai courage. »
Avec elle, Alli a emmené en exil les plantes qui peuvent guérir. Elle arrive en Ostrobotnie, dans l’ouest de la Finlande, où tout est plat, et ce paysage, qui lui fait peur, est parcouru de vols d’oiseaux qu’elle observe et qui lui font dire : c’est ainsi que je veux passer ma vie. Que représentent ces oiseaux ?
Merja Mäki : « Les oiseaux symbolisent la capacité de retourner en esprit à la maison. En Carélie, traditionnellement, les oiseaux sont des messagers entre notre univers et celui des morts. On croit que les oiseaux nous apportent les messages des personnes que nous avons perdus. Pour Alli, avec ces oiseaux, c’était devenu plus plus facile de gérer sa douleur. »
Comment ne pas penser, aujourd’hui, à l’agression russe de l’Ukraine, la guerre, l’occupation, la violence sordide faite aux civils, aux enfants et aux femmes ?
Merja Mäki : « Pour écrire mon livre, j’ai consulté des centaines de milliers de photos d’archives et subitement, devant moi, j’avais sous les yeux, dans la réalité, le même type de photos. Cette nouvelle guerre a réactivé, chez beaucoup de Finlandais, les vieux traumatismes liés à l’histoire. Nous avons une très longue frontière commune avec la Russie, beaucoup d’épisodes de guerre entre les deux pays. J’ai l’impression que, depuis 2022, il y a eu un changement dans les mentalités en Finlande. Auparavant, on avait un point de vue très diplomatique : il fallait être assez prudent lorsqu’on parlait de l’histoire de la guerre en Finlande. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on en parle beaucoup plus ouvertement. »
Un roman poignant sur l’exil et un formidable portrait de femme, que la guerre a poussée à prendre d’importantes responsabilités et à dépasser les interdits. Une révélation.
B.S.
Merja Mäki : « Quand les oiseaux reviendront », Charleston, 2024. Traduit du finnois par Fantine Brunel.


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