04/09/2025

Dix-sept syllabes avant de partir pour l’autre monde


C’est une tradition bien établie au Japon : à la fin de leur vie, les poètes aspirent à écrire leur jisei, leur « poème d’avant la mort ». Un haïku ultime que l’on rédige lorsque l’on sent la mort venir, un dernier regard avant de se retirer. La signature finale de son parcours terrestre.


dans le calme

léger

je pars pour l’autre monde

(Hamon)


C’est un haïku, un poème court de 17 syllabes, que l’on écrit ou que l’on dicte sur son lit de mort. Avec une extrême économie de sentiments, pas de bavardage, un message nu, une brièveté absolue.


Pierre Reboul a consacré un ouvrage épatant à cette pratique singulière. Dans ces Haïkus du seuil de la mort, « tout est suggéré, précise-t-il. Aucune véhémence n’y paraît. Au point d’être déconcertant dans sa subtilité, pour un Occidental coutumier d’une expression poétique démonstrative. Blancheur du texte. »


voyage sans retour:

le sac du vagabond est

sans fond 

(Kyoshu)


est-ce moi que le corbeau appelle

du monde des ombres

en ce matin glacial ?

(Shukabo)


Dans son ultime poème, il n’est pas rare que le haïjin remercie la vie dans un élan de gratitude. C’est ainsi par exemple que Issho s’apprête à quitter ce monde flottant :


du plus profond de mon coeur

comme la neige est belle

nuages à l’ouest


La mort est inéluctable. Nul ne peut y échapper. Le haïjin acquiesce. Tout est bien ainsi. Et sa voix nous rassure.


le voyage vers l’ouest

auquel nul n’échappe

champ de fleurs

(Baiseki)


Kaisho quant à lui nous annonce qu’il suspend son pinceau, qu’il renonce à sa pierre à encre et qu’il s’en va, c’est inéluctable:


cerisiers du soir:

je glisse la pierre d’encre dans mon kimono

c’est la dernière fois


Ainsi le haïjin laisse une dernière trace de son passage sur terre, une dernière signature.

Devant la mort, Shidoken « éprouve une empathie générale envers ce qui l’entoure » et, ajoute Pierre Reboul, « il se compare sans dédain à l’humble ver qu’il rejoindra bientôt » :


retournant d’où il est venu

un ver d’été

nu


Bruno SOURDIN.


Pierre Reboul: « Haïkus du seuil de la mort », éditions Sully (BP 171, 56005 Vannes Cedex).




Pierre Reboul est l’auteur de plusieurs recueils de haïkus. Il a également publié « Un désir de haïku » aux éditions Sully, une analyse des différentes formes de ce type de poésie. Il est par ailleurs un acteur engagé dans le mouvement des soins palliatifs.

Pierre Reboul s’est nourri des jisei de 350 haïjins japonais recensés par un universitaire israélien, professeur de philosophie et de bouddhisme à l’université de Haïfa, Yoel Hoffmann. Un travail considérable. Une édition française de ses « Poèmes d’adieu japonais » est parue en 2023 chez Armand Colin.


On retrouvera un entretien de Pierre Reboul par Pascale Senk dans son excellent podcast « 17 syllabes », # 18 et 19.

https://pascale senk.com

 

 






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