23/12/2022

Aurobindo, poète unique de l’Inde profonde

Sri Aurobindo, poète des mystères cosmiques.


Dans son asile de Pondichéry, Aurobindo Ghose a développé une oeuvre d’une profonde originalité. Il est aujourd’hui considéré comme le plus grand maître de la philosophie hindoue et l’un des plus grands yogis de tous les temps. Bengali élevé en Angleterre, où il fit des études très brillantes, il était devenu, à son retour en Inde, un nationaliste et un militant indépendantiste convaincu. C’est pour fuir les Britanniques qu’il s’était installé en 1910 dans ce qui était alors un des cinq comptoirs français de l’Inde.


Sri Aurobindo estimait que l’ashram qu’il avait fondé à Pondichéry devait être un laboratoire de l’évolution. Selon lui, l’homme est un être de transition et le mental n’est pas le point final de cette évolution. La prochaine étape serait la descente d’un autre plan de conscience: il lui a donné le nom de Supramental. Le but de son yoga était justement d’aider à passer sur le plan supramental.


Aurobindo était un visionnaire. Son oeuvre philosophique et littéraire est considérable, elle remplit une trentaine de gros volumes. Dans cet ensemble impressionnant, la poésie occupe une place exceptionnelle. Inspiré d’une légende védique, Savitri est son grand poème épique, il contient 24 000 vers (presqu’autant que l’Iliade et l’Odyssée réunis). Aurobindo considérait cette oeuvre gigantesque comme le fruit de son expérience spirituelle, il l’a retouchée jusqu’à la fin de sa vie.


Ses poèmes courts, écrits en anglais, ont été traduits pour la première fois en français et publiés en 1981 dans une édition de l’Ashram. Ils sont au nombre de 172. Nous en avons choisi trois, trois poèmes lumineux, pour lesquels nous proposons une nouvelle traduction.


B.S.







Le miracle de la naissance


J’ai vu mon âme voyager dans le Temps;

De vie en vie elle progressait sur les voies cosmiques,

Obscure dans les profondeurs et magnifique sur les hauteurs,

Évoluant du ver au dieu.


Étincelle du Feu éternel, elle est venue dans la Matière 

Bâtir une maison pour l’Être qui n’est pas encore né.

La Nuit ténébreuse et profonde a reçu la flamme;

Dans le germe informe des choses inanimées


La Vie a remué et la Pensée a dessiné une forme brillante

Qui a pu s’avancer sur la terre inerte,

Une créature pensante qui peut espérer et aimer,

Née de Nature somnambule dans son sommeil.

A pas lents le miracle persiste,

La naissance progressive de l’Immortel dans la boue et la pierre.





Lîlâ


En nous réside l’Esprit mille formes qui est un,

Éternel penseur calme, grand et sage,

Un Voyant dont l’oeil est un soleil qui voit tout,

Un poète des mystères cosmiques.


Témoin critique il reconstitue toute chose,

Et lie les fragments en un bouquet éclatant;

Aventurier du Monde porté par l’aile du Destin

Il joue avec la mort et le triomphe, la joie et la peine.


Roi de grandeur et esclave d’amour,

Hôte des astres  et convive à l’auberge de la Nature,

Esprit spectateur qui siège en altitude,

Un pion de feu dans le jeu divin,


Lui qui a fait par jeu les soleils et les mers

Reflète en notre être son immense caprice





L’invité


J'ai découvert au fond de moi l’être éternel:

Masqué par son mental, immense, serein

Il accueille le monde avec un regard d’Immortel,

Spectateur-dieu du théâtre des hommes.


Ni douleur ni peine du coeur et de la chair

Ne peut écraser ce havre de paix pur et muet.

Danger et peur, ces chiens du Destin arrachant leur laisse,

Déchirent le corps et les nerfs - l’Esprit intemporel est libre.


Réveille-toi, rayon et témoin de Dieu dans ma poitrine,

Dans la substance immortelle de mon âme

Comme un éclair impénétrable, invité tout-puissant.

La Mort approche et la Destinée réclame son dû;


Il entend les coups qui fracassent l’ordre de la Nature:

Il est assis, calme, impressionnant, lumineux.