Taneda Santôka DR |
Arbre nu
sous le ciel bleu —
silence de la mort
Ce haïku, Taneda Santôka l’a écrit sur son lit de mort. Ici traduit par Corinne
Atlan et Zéno Bianu dans leur Anthologie du poème court japonais (1), il illustre à
merveille sa vision de l’existence. Devenu moine bouddhiste à l’âge de 40 ans, il passera le restant de ses jours à vagabonder sans but avec un bol pour mendier sa nourriture, boire du saké quand il le peut pour se mettre dans un état de réceptivité absolu et, même quand la recette n’a pas été bonne, composer des haïkus de forme libre, en paix, dans une langue des plus simples.
L’arbre est nu sous le ciel bleu. Plus rien n’importe que cet arbre nu. Ainsi,
rempli de gratitude, Taneda Santokâ s’enfonce dans la montagne, dans le
grand jeu du silence :
Profond
plus profond encore
dans les montagnes bleues
C’est un monde où l’angoisse et la peur semblent engourdies. Cette solitude
est idéale. Ce silence lui parle mieux que les mots. Santôka contemple le ciel
et la terre, la vie coule en lui. « Ainsi qu’une herbe flottant de ci de là, je jouis
d’une tranquillité misérable, note-t-il dans son journal. Je ressens de la pitié et en même temps je suis content. L’eau coule, le nuage bouge sans cesse.
Lorsque le vent souffle, les feuilles de l’arbre s’éparpillent. »
Santôka ne possède rien, il ne désire rien, il n’envie rien. Il s’assied seul en
face de la montagne. Sans paroles, sans bavardage. L’air avec sa fraîcheur
entre dans ses poumons. L’espace est silence. Un silence vraiment
extraordinaire. Comme au commencement du monde.
« Difficile pour l’être humain de trouver l’endroit où mourir, écrit-il dans son
journal. J’espère mourir comme une bête, comme un oiseau et au moins
comme un insecte. Si je voyage c’est pour trouver l’endroit où mourir. »
Cet endroit, Taneda Santôka l’a finalement trouvé à Isso an, où il s’était rendu
pour rencontrer des amis poètes. C’est son dernier voyage. C’est là qu’il peut
écrire son tout dernier haïku :
La mort bientôt —
sur les herbes folles
tombe la pluie
Bruno SOURDIN.
Haïkus. Anthologie du poème court japonais, choix et traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu, Poésie Gallimard, 2002.
Taneda Santôka pris sur le vif
Dans sa collection Folio Sagesses, les éditions Gallimard reprennent une sélection de haïkus du volume Anthologie du poème court japonais. Les haïkus d’automne et d’hiver viennent d’être publiés. L’univers frémissant de Taneda Santôka y figure en bonne part, naturellement. Petit florilège.
AUTOMNE
Verse l'averse d'automne —
je ne suis
pas encore mort
Verse l’averse d’automne —
le chemin
encore et toujours
Automne
le malheur et rien d’autre —
je poursuis mon voyage
Un corbeau graille —
moi aussi
je suis seul
Sur une pierre
la libellule
rêve en plein jour
Les herbes folles
se couvrent d’automne —
je m’assieds
HIVER
Au milieu de la vie
au milieu de la mort
la neige sans répit
Dans mon bol de fer
en guise d'aumône
la grêle
Haikus d’automne et d’hiver, édition traduite du japonais par Corinne Atlan et Zéno Bianu, Folio Sagesses, Gallimard, 2024. Dans la même collection, déjà paru: Haikus de printemps et d’été.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire