27/10/2024

Haïkus: Santôka dans le silence de la mort

Taneda Santôka                                                                                                         DR



Arbre nu

sous le ciel bleu 

silence de la mort


Ce haïku, Taneda Santôka l’a écrit sur son lit de mort. Ici traduit par Corinne

Atlan et Zéno Bianu dans leur Anthologie du poème court japonais (1), il illustre à

merveille sa vision de l’existence. Devenu moine bouddhiste à l’âge de 40 ans, il passera le restant de ses jours à vagabonder sans but avec un bol pour mendier sa nourriture, boire du saké quand il le peut pour se mettre dans un état de réceptivité absolu et, même quand la recette n’a pas été bonne, composer des haïkus de forme libre, en paix, dans une langue des plus simples.


L’arbre est nu sous le ciel bleu. Plus rien n’importe que cet arbre nu. Ainsi,

rempli de gratitude, Taneda Santokâ s’enfonce dans la montagne, dans le

grand jeu du silence :


Profond

plus profond encore

dans les montagnes bleues


C’est un monde où l’angoisse et la peur semblent engourdies. Cette solitude

est idéale. Ce silence lui parle mieux que les mots. Santôka contemple le ciel

et la terre, la vie coule en lui. « Ainsi qu’une herbe flottant de ci de là, je jouis

d’une tranquillité misérable, note-t-il dans son journal. Je ressens de la pitié et en même temps je suis content. L’eau coule, le nuage bouge sans cesse.

Lorsque le vent souffle, les feuilles de l’arbre s’éparpillent. »


Santôka ne possède rien, il ne désire rien, il n’envie rien. Il s’assied seul en

face de la montagne. Sans paroles, sans bavardage. L’air avec sa fraîcheur

entre dans ses poumons. L’espace est silence. Un silence vraiment

extraordinaire. Comme au commencement du monde.






« Difficile pour l’être humain de trouver l’endroit où mourir, écrit-il dans son

journal. J’espère mourir comme une bête, comme un oiseau et au moins

comme un insecte. Si je voyage c’est pour trouver l’endroit où mourir. »


Cet endroit, Taneda Santôka l’a finalement trouvé à Isso an, où il s’était rendu

pour rencontrer des amis poètes. C’est son dernier voyage. C’est là qu’il peut

écrire son tout dernier haïku :


La mort bientôt —

sur les herbes folles

tombe la pluie



Bruno SOURDIN.



Haïkus. Anthologie du poème court japonais, choix et traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu, Poésie Gallimard, 2002.

 

 

 

 

 


 

 


Taneda Santôka pris sur le vif

 

Dans sa collection Folio Sagesses, les éditions Gallimard reprennent une sélection de haïkus du volume Anthologie du poème court japonais. Les haïkus d’automne et d’hiver viennent d’être publiés. L’univers frémissant de Taneda Santôka y figure en bonne part, naturellement. Petit florilège.




 

 






AUTOMNE


Verse l'averse d'automne

je ne suis

pas encore mort



Verse l’averse d’automne  —

le chemin

encore et toujours



Automne

le malheur et rien d’autre —

je poursuis mon voyage



Un corbeau graille —

moi aussi

je suis seul



Sur une pierre 

la libellule

rêve en plein jour



Les herbes folles

se couvrent d’automne —

je m’assieds




HIVER


Au milieu de la vie

au milieu de la mort

la neige sans répit



Dans mon bol de fer

en guise d'aumône

la grêle



Haikus d’automne et d’hiver, édition traduite du japonais par Corinne Atlan et Zéno Bianu, Folio Sagesses, Gallimard, 2024. Dans la même collection, déjà paru: Haikus de printemps et d’été.






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